vendredi 14 janvier 2011

Lettre à une connaissance

Tu ne m'as pas manquée. Je suis partie du jour au lendemain, et je viens de me souvenir que je ne t'ai même pas prévenue. Ça n'a pas vraiment eu d'importance, je ne suis même pas certaine que tu te sois rendue compte de mon départ précipité.
Je suis allée un peu partout, à gauche, à droite. J'ai encore un peu de mal à tenir en équilibre dans ce monde qui tangue, mais je progresse plus vite que si j'avais attendu que tu m'apprennes. J'en ai vu du monde, j'ai aperçu la lumière du jour, et des visages inconnus. Tu ne me laissais pas vraiment l'occasion de voir plus loin que le bout de mon nez. Ce n'est pas que je te le reproche, mais tu aurais pu m'expliquer les choses un peu mieux.
Imagines-toi à ma place, comment aurais-tu fait? Je ne connaissais rien ni personne. Je vivais tranquillement, toute seule avec toi, sans demander plus. J'ai basculé dans un autre monde, où la foule se presse autour de moi. Tu n'as pas pensé à me prévenir? Tu me parlais bien un petit peu, mais je ne t'entendais pas très bien. Je te l'accorde, je flottais complètement dans mon petit univers, et je n'étais pas forcément très attentive.
Tout va plus ou moins bien, je commence à m'habituer aux coutumes et traditions de cet étrange endroit. Je m'y plais, mais il me semble que je vais devoir continuer à apprendre à ce même rythme déjanté pendant de longues années avant de me fondre dans la masse. C'est inattendu, toutes ces découvertes que je fais ici. Il me suffit de cligner des yeux pour qu'un évènement nouveau se produise.
Je prends un point de vue de plus en plus haut sur les choses. Je crois que c'est l'âge, je grandis à une vitesse incroyable. Je me lasse très vite des objets qui hier encore me passionnaient. C'est fou ce que le temps passe!
Tu devrais me rejoindre, tu pourrais finir par me manquer. Et puis tu serais étonnée de voir tout ce qu'il se passe. Par contre il va falloir que tu apprennes à partager, je ne supporterais plus d'être uniquement à toi. Neuf mois, c'était bien assez long!
Je t'attends quand même avec une pointe d'impatience, maman.

Assassinée

Elle ne pu crier, tant la douleur l'étouffait. Le carrelage froid de la salle de bain caressait cruellement le moindre recoin exposé de sa peau blanche. Son regard tremblant, tendu à l'extrême, chercha l'origine de l'ignoble souffrance. Dans une panique haletante, ses mains crispées palpaient nerveusement son corps. Quelques doigts rencontrèrent le liquide tiède qui stagnait dans le creux de sa hanche. Surpris, ses yeux s'écarquillèrent tout en se dirigeant vers la plaie. Le sang coulait abondamment d'un peu plus haut, d'un trou béant sur son ventre sans chair. De nouveau, elle voulu hurler, mais elle était paralysée face à ce corps qu'elle ne voulait pas reconnaître mais qui était pourtant le sien. Asphyxiée par la peur, elle se recroquevilla, brisée comme un cadavre sur le sol blanc maculé.
Tout son corps se secouai de convulsions, luttant contre l'infâme douleur qui l'envahissait à toute vitesse. Elle se mit à tousser, et le goût douçâtre du sang infiltra son palais. Respirer était une torture, réfléchir était bien pire. Les pensées allaient et venaient, se brisant les unes contre les autres, frappant violemment contre son crâne comme pour fuir la douleur qui approchait bien trop rapidement. Elle ferma les yeux, puis les rouvrit instantanément.
La vision d'horreur s'offrit à elle comme une nouvelle phase de son calvaire. Le couteau était posé devant son visage tordu par la souffrance. La lame brillait d'un éclat aveuglant à travers le sang qui la recouvrait. Cette lame, cette lame dont elle se souvenait.
Elle revit le bras qui se tendait menaçant au-dessus de sa poitrine, elle le revit s'abattre avec terreur, mais dévier au dernier moment. Une hésitation ou une erreur, et la lame plongeait dans sa chair, cette lame glacée qui violait la chaleur de son corps. Elle sentit encore une fois son corps se plier autour de cette blessure. Sa main posée sur le couteau l'avait arraché de sa peau puis lâché. Il avait vacillé sur le sol pendant des heures, lui avait-il paru, avant de s'immobiliser en silence. Alors seulement elle s'était écroulée, sans rien auquel se rattraper.
Sa transe prit fin brusquement, et elle retrouva ce corps agité de douleur. Il devait être là, quelque part dans l'appartement. L'assassin devait l'attendre, caché dans une ombre. Il allait revenir pour l'achever. Elle devait partir, fuir au plus vite. Sans y croire, elle tenta de bouger, mais aucun de ses membres ne trouva la force ou le courage d'obéir. Elle ne pouvait pourtant pas rester allongée là. Le visage fendu en une grimace d'effort, elle usa de toute sa volonté pour s'asseoir, dos au mur. Elle tendit la main et s'agrippa à l'arme de son propre meurtre. Puis elle se traîna vers le couloir, puis le salon, laissant sur ses traces un chemin de sang rouge écarlate. Aucune lumière n'était allumée. Elle parvint à se blottir derrière le canapé, toujours cramponnée au couteau comme à sa vie. Il lui sembla reprendre sa respiration difficile qu'une fois immobile. Une goutte dégoulina de son front sur ses yeux puis ses lèvres, ajoutant au goût du sang celui un peu salé de la sueur. Elle tenta de rester silencieuse, mais ne pu s'empêcher un sanglot lorsqu'elle vit le sang couler en cascade de son ventre vers sa hanche maigre et son pantalon imbibé du contenu de ses veines. La nuit éclairait la pièce d'une pâleur inquiétante.
Il la guettait, tapi dans un coin de la pièce, il la voyait. Son regard la fixait, elle le sentait, pesant, à travers l'obscurité. Elle se fit minuscule, scrutant avec angoisse le lugubre théâtre de son agonie. Les meubles autrefois si confortables paraissaient désormais menaçants, prêts à lui révéler celui qui lui donnerait la mort à la moindre seconde. Les ombres immobiles allaient bientôt être troublées, elle le savait. La peur surpassait la douleur en intensité, emportant avec elle sa vue et ses sensations. Ne restait que cette attente interminable d'une fin certaine, mais qui se refusait à venir. Chaque battement, chaque bouffée réduite d'air aspirait à ce moment où la souffrance reprendrait le dessus une dernière fois.
Ses larmes se mirent à couler sans arrêt, sans apporter aucun réconfort. Sa vue embuée se porta vers le miroir de l'entrée dans lequel elle aperçu son reflet. Elle ne ressentit ni peur, ni stupéfaction. Cette vue inattendue, ce spectacle de son corps sanguinolent ne lui inspira que du dégoût. Elle regarda longuement ses vêtements souillés, son ventre immergé sous un sang terne, son visage grimaçant, rougit par les larmes. Des rides et des plis de tension avaient recouverts ses joues et son front, ses cheveux luisaient de transpiration. Et ses yeux injectés de sang lui rappelèrent tout ces cachets, pilules. Toutes ces seringues, ces lignes de poudre blanche. Tout ce qu'elle avait injecté dans ce corps qui lui prenait sa revanche. Elle payait lentement, en agonisant à petit feu, le prix de sa mort.
Elle écrasa le dernier bastion de pensées qui refusait de se soumettre à l'indicible vérité. Ces remords et regrets, ces rêves et espoirs qui avaient empêché sa main de frapper. Mais c'était trop tard. Son âme se rendait à l'évidence, il n'y avait plus rien à risquer. Elle était déjà comme morte. Son esprit devint opaque. Il n'y avait plus que la brume, qui succédait à la tempête, au tumulte de sa propre résistance.
Son poignet se serra autour de la lame, décidé, sans hésitation. Il se leva. Elle frappa en pleine poitrine. Un bruit sourd résonna dans tout son corps résigné. Le vide chassa le silence. Quelle mort cruelle, que l'on s'offre.