jeudi 14 janvier 2016

Les règles: parlons-en

« Qu’est-ce que tu as, tu ne te sens pas bien ? » « Je suis malade ».

Non. Tu n’es pas malade, tu as tes règles. Aïe, mais qu’ai-je écrit ? Le mot-qu’il-ne-faut-pas-écrire-et-encore-moins-prononcer. Parce que les règles c’est sale, c’est humiliant, c’est intime.

Le jour de mes premières règles, j’ai pleuré. J’étais triste de réaliser que je n’étais définitivement pas un garçon. Selon la lecture de la société que j’avais à 13 ans, maintenant que j’étais une femme, je n’avais plus le droit d’avoir un poil qui dépasse de ma culotte ou une tâche de sang sur mes vêtements blancs immaculés. J’allais avoir honte une fois par mois, en plus d’avoir si mal que je ne pourrais parfois pas marcher. Cela voulait aussi dire devenir une artiste de la répartie, pour continuellement trouver de nouvelles manières de ne pas prononcer le mot si redouté.


Encore récemment j’ai dû dire à mon employeur que je devais rentrer chez moi car j’étais malade. Parce que « ça ne se fait pas » de dire à son chef qu’on a du sang entre les jambes, des crampes dans le vagin et de la fièvre plein la tête. Même si j’avais trouvé ce courage de braver le tabou, j’aurais directement était classée dans la catégorie des profiteuses, ces femmes faibles et indignes qui bien saisissent l’occasion de leurs règles pour se plaindre et se la couler douce.

 

Commençons par-là : mesdames, messieurs, les règles sont douloureuses. Ce n’est pas une vérité générale car il n’y en a pas en ce domaine. Un mois je peux souffrir au point de ne pas pouvoir me tenir debout, un autre je vais gravir un sommet avec trente kilos sur le dos sans problème. Et alors ? Ce n’est pas le jugement d’autrui qui compte, mais le mien sur mon propre corps. Si je considère que je ne peux pas le pousser plus, c’est ma décision et je devrais pouvoir imposer mon choix sans hésitation.

Pourtant, comment mettre en œuvre ce choix lorsque le tabou des règles est si fort qu’il est devenu une barrière mon monde et l'extérieur? Mes règles sont sales : les campagnes publicitaires avec le sang bleu me le montrent clairement. On diffuse des scènes de corps déchiquetés à la télévision, le public raffole d’images gores fictives ou réelles, mais le sang de mon corps qu’il voit pourtant sous tous les angles chaque jour, c’est trop. Mon corps est sale, j’en suis convaincue car j’en fais l’expérience : le sang qui s’accumule sur une serviette hygiénique ou sur un tampon s’oxyde, se colore et pue. C’est gênant et puis bien sûr c'est anormal car ce n’est ni bleu fluo ni parfumé aux fleurs.

Ces règles si bien dissimulées sont d'ailleurs au cœur d’un commerce fructueux. Parce que je dois dépenser tous les mois de quoi les cacher, de quoi pouvoir les ignorer autant que possible. Moins je dois changer mon tampon, malgré les dangers pour ma santé, mieux c’est. J’ai mis 9 ans à utiliser la cup (coupe menstruelle), car je ne savais pas à qui poser mes questions, parce qu’à force de haïr mes règles je ne voulais certainement pas mettre les doigts dedans pour apprendre à mieux les connaître. La cup m’a permis de me réapproprier mon corps, moi qui me croyais émancipée. D’apprendre à comprendre mon cycle, tout en étant plus à l’aise et plus en sécurité.

Le sang, c’est juste le bout d’un long processus. C’est les cinq jours d’aboutissement d’un cycle qui dure environ un mois, et ce, en continu, pendant la moitié de ma vie. Ce cycle n’est pas que douleur et humiliation, bien au contraire. Le sang une fois par mois, c’est le reflet de la formidable poussée d’hormones qui me donne envie de sauter sur un mec. C’est le partenaire de ce temps de déprime, de colère et d’émotion que je vis pendant qu’il coule. Mais une femme hystérique, c’est tellement embêtant. C’est difficile de gérer une femme qui pique des crises. Voyez-vous le problème ? Personne ne doit « gérer » les femmes: ni les hommes, ni elles-mêmes. Les règles sont un moment intense à vivre. A chacune de choisir de le vivre accompagnée ou seule, mais certainement pas cachée.

Un homme m’a une fois dit que mes règles étaient belles car elles sont la vie. Si mon sang est sale, si mon vagin est impur, si vous ne voulez pas en entendre parler, regardez votre mère dans les yeux et dites-lui ce que vous en pensez. J’espère que vous comprendrez l'absurdité de cette façon parfois inconsciente de penser. Il n’y a pas de honte à avoir peur de l’inconnu. Rare sont ceux qui parlent des règles telles qu’elles le sont vraiment, c’est-à-dire avant tout l'incarnation de notre humanité. Homme ou femme, prenez le temps de réfléchir à ce qui vous choque, à ce qui vous fait peur, puis parlez-en. Entrez dans nos têtes et sortez de mon vagin, sauf si je vous y invite.