jeudi 13 mai 2010

Quelqu'un, quelque part, un autre, le suivant

Il en faut peu, si peu. Un soupir et c'est réglé. Une seconde en plus, en moins, le temps de faire un pas de trop, de fermer les yeux. Un battement de cil, un battement de cœur. Un souffle, quelques bulles d'air. Il suffit d'un petit écart, entre deux sourires, entre deux mots, entre deux lignes. Un peu de hasard, un peu de coïncidence.
Et déjà, c'est fait, tout est joué d'avance. Il n'y a pas de comment ni de pourquoi. Disparu puis oublié. En quelques secondes, c'est fait.

(Dés)illusion

J'avais rêvé des draps blancs, de l'amour et des roses. Je t'ai eu toi, terriblement beau, dangereusement mystérieux avec ton regard profond. Ces yeux bleus qui illuminaient tes cheveux sombres, ces tâches d'éclaircies dans ton étrange silhouette. Ils me fixaient, me pénétraient l'âme, le cœur et le corps. Sous ton regard, mes tempes battaient, une houle d'envie m'envahissait. Je me souviens de ce petit pincement à chaque bouffée d'air, je me souviens de mes yeux qui cèdent. Je me revois abaisser le regard, timide. Et le redresser, discrètement, pour t'épier avec jalousie. Je ne pouvais plus me soustraire à ton emprise, attirée vers tes bras. Mes mains brûlaient de l'envie de te frôler, mes lèvres tremblaient avant de goûter. Puis tout bascula, la chaleur de ton étreinte, tes doigts qui parcouraient mes courbes. Tes lèvres qui régalaient les miennes. Les sensations bouillonnaient, dans un ouragan de plaisir déchaîné que je ne pouvais contenir. J'étais transportée, exaltée, je te voulais pour la vie.

Ce fut court, bref. Des minutes qui s'envolèrent en quelques secondes. Je ne t'ai même pas parlé. J'avais rêvé des draps blancs, de l'amour et des roses.

samedi 8 mai 2010

Cercle d'Homme

On m'a appris à rire, à pleurer, à crier.
Comme on m'a appris à aimer, haïr et détester.
J'ai grandi au son des règles et des acquis,
loin des rêves d'enfance, déjà ternis
par une vie morose d'adulte encadré
qui n'osera jamais faire un pas de côté.

On m'a dit marche droit, et j'ai marché.
On m'a dit ne fais pas ça, et je ne l'ai pas fait.
Pourtant je me disais, que je serais celui,
qui briserait ces mots: destin et ennui.
Que seul, je parcourrais la terre,
pour rejoindre le pays de mon imaginaire.

Le temps est passé, je n'ai pas bougé.
Les années ont rouillé, mon esprit vieilli.
Je n'ai plus rêvé de rompre avec la mort,
ni d'être de ceux qui bravent le destin.
Je me suis laissé bercé par la douce fatalité,
par le simple et le moins risqué.

Et me voilà, ma vie achevée.
Je ne suis qu'un vieillard plein de regrets.
Un enfant qui s'est perdu, à vouloir grandir.
À imiter les erreurs des hommes, et les pires.
Je laisse mes doutes et mes rêves à ces enfants,
qui les yeux clos, mourront en grandissant.

Une octave plus bas

J’ai laissé mes sacs dans le couloir, ma basse avec. Puis j’ai surmonté les rangées de valises pour m’affaler sur mon siège. Voilà que le train s’ébranle, avec un bruit sifflant puis fracassant et régulier. Tacatac tacatac tacatac. Un rythme, une musique dont je me souviendrai toujours. Je quittai Londres.

Je quittais ce monde que j’avais mis deux ans à m’approprier. J’y étais arrivé sans attentes, avec ma basse en main et ma musique en tête. Tout était allé si vite. Un appel, un concours, d’autres coups de fil. Je n’avais pas vraiment eu à prendre la décision de débarquer là, elle s’était imposé à moi comme une opportunité de faire un pas vers mes rêves.
Le concours de l’école londonienne m’avait paru irréel. Une audition de quelques minutes. Je me rappelle encore de ce que j’avais joué. Un morceau de jazz, très court. De cette légère angoisse qui faisait trembler les notes. Et puis c’était fait. J’étais pris.
Je me suis installé à Londres quelques semaines après. Laissant derrière moi mes amis de toujours, mes doutes et mes amours inachevés. Je crois que rien ne me retenait vraiment. Si peu à perdre et tant à gagner.

Pour mon départ de l’autre côte de la Manche, pas d’au revoir désespérés, mouchoirs blancs et torrents de larmes. Plutôt quelques nuits blanches passées à arpenter les rues et les bars de Bruxelles.
Mais la quitter, elle. Cette petite fille avec qui j’avais grandi, et que j’avais vu devenir femme. À force, je connaissais par cœur chaque ligne de son visage. Ses goûts, ses peurs et ses rêves…Rien ne m’était inconnu. Je l’ai attendue six ans. Sans espoir. Six ans à peser chaque mot, chaque regard. Je pensais qu’elle ne me voyait même pas, et je n’ai su que bien plus tard qu’elle regrettait de m’avoir rejeté. Qu’elle avait eu peur de perdre l’amitié que nous avions doucement construite. Elle a marqué mes années, en bien comme en mal. C’est dans l’amitié dont elle me demandait de me contenter que j’ai appris à l’aimer encore davantage. Bien sûr, ce n’était qu’une petite contrepartie à toute cette frustration. Et à la douleur que j’ai ressenti lorsqu’elle est tombée dans les bras d’un de mes meilleurs amis. Il n’a jamais su le mal qu’il m’avait fait alors. Et je ne lui en veux pas.
Je ne parlais de tout cela à personne. Peut-être juste un ou deux amis. Cet amour pesait sur ma seule conscience, et cela me donnait l’impression de la posséder un peu.

Je vivais seul depuis mes dix-sept ans. Le lycée n’était pour moi qu’une façon de voir mes amis. Je passais le plus clair de mon temps à jouer de la basse, à laquelle je m’initiais après avoir joué de la guitare une dizaine d’années.
Mon frère, plus âgé que moi, avait suivi le même parcours musical. Il y avait entre nous une certaine rivalité, mais qui ne m’intéressait pas vraiment. Je jouais pour moi, pour mon plaisir. Je ne tiendrais pas de discours niais sur le fait que la musique me permettait de m’évader ou de me faire évoluer, mais, au fond cela est vrai. Mes mains parcouraient les cordes et les faisaient vibrer en un son harmonieux ou presque discordant, selon mes envies. J’écrivais et dessinais également, mais les émotions m’y semblaient trop crues, données au monde sans aucune interprétation. Sans liberté pour l’autre de s’y perdre et d’y retrouver ses propres sentiments.
Je ne partageais pas ma musique. Elle m’était trop intime. Je n’aurais voulu l’offrir qu’à une seule personne, mais je n’en ai jamais eu l’occasion.

J’ai passé mon bac sans m’en rendre compte vraiment, sans grande réussite, avec les notes les plus basses. Mais chacun son intérêt, et là n’était pas le mien. Je me souviens, juste avant le début des épreuves, le proviseur du lycée était venu nous encourager et nous parler de nos choix d’orientation. Je serais musicien.

Ce diplôme ne m’apporta pas vraiment de fierté, mais surtout de la liberté. Celle qu’il me fallait. J’avais choisi d’étudier au conservatoire de jazz d’Anvers. Sans aucune raison valable, je ne voulais pas habiter sur place. Je pense avec le recul que j’étais un peu trop jeune pour m’installer dans une ville inconnue, je le savais sûrement à ce moment-là , mais ne voulais pas me l’avouer. Les trajets matin et soir en train pour traverser le pays ne me gênaient pas. Je me sentais un peu bohème, dans ces trains filant dans l’aube ou le crépuscule, ma basse près de moi. Quand je repense à ces années, j’ai l’impression de les avoir passé sur un quai de gare. À attendre un train. Ou le suivant. Parce qu’il y en a toujours un après.
Moi, je prenais toujours le premier, personne ne me retenait à Anvers, je ne m’y étais pas vraiment fait d’amis.

À dire vrai, j’ai toujours été de ceux qui privilégient les relations intimes. J’aime connaître parfaitement ceux qui m’entourent, et me séparer rapidement de ceux qui ne veulent pas s’impliquer dans l’amitié. Voilà pourquoi je ne m’étais pas réellement rapproché de qui que ce soit là-bas. Je venais pour les cours et rien d’autre.

Ma première année fut une grande réussite. Je passai les examens de fin d’année avec une certaine facilité. Mais je m’installais dans une routine presque énervante, contraire à ce que je recherchais dans la musique. Ma vie avait pris un rythme lent, coulant… un rythme de jazz.
Je crois bien que c’est à cause de cela que ma deuxième année fut une catastrophe. D’un coup les trajets me paraissaient exaspérants. Je n’y voyais qu’une perte de temps. Après la magie et les étoiles de la première année, le conservatoire ne m’intéressait plus. Quelles portes m’ouvrait-il ? Le jazz des années soixante était bel et bien mort, enterré sous la masse des nouveaux styles. Il était évident que je me montais la tête, mais les cours ne m’intéressaient plus. Dois-je avouer que je me sentais au-dessus de tout cela ? J’étais jeune alors, je voulais le monde à mes pieds, ou plutôt les oreilles du monde tournées vers ma basse.
Je finis par ne plus aller aux cours. Me lever le matin était devenu un effort, comme lorsque j’étais au lycée. Parfois je passais ma journée dans un bar d’Anvers, parfois je traînais chez moi, à faire mollement glisser mes mains sur ma basse. Ce fut donc sans surprise que je reçus la lettre du conservatoire. Je ne l’ai même pas ouverte, son contenu était évident.

Comme si j’avais attendu l’arrivée de cette lettre en léthargie, je commençais à partir de sa réception à rejouer sérieusement. Je m’aventurais dans tous les genres de musiques, explorant à tâtons leurs vastes possibilités.
Je me rappelle du moment où le téléphone a sonné. Je me suis même demandé un instant ce qui pouvait bien faire ce bruit strident. Je débranchai ma basse et me levai, à la recherche de l’objet au son insupportable. Je finis par le trouver sous une pile de linge, sale évidemment.
Pas de bonjour, comment ça va ? Juste la voix rauque de mon frère et cette proposition inattendue : « Cet été, ils font passer les auditions d’entrée pour la London School of Music. Maman m’a dit que tu te mourrais à petit feu dans ta grotte, bouge-toi et essaye».
J’eus un déclic, voyant dans cette école un moyen de me lancer à la conquête des sons. De jour comme de nuit, je travaillais. Je m’acharnais sur des morceaux complexes durant des heures, sans relâche. Au cours des quelques pauses que je m’accordais, j’écoutais de nouveaux groupes, afin de trouver le morceau qui m’ouvrirait les portes de l’école. Je me rendis compte assez rapidement que le jazz restait pour l’instant ma spécialité, mon point fort si je voulais mettre toutes les chances de mon côté. Les heures d’écoute, avec mon casque sur les oreilles m’imposèrent le choix du morceau que je présenterais. “My funny Valentine”. Un morceau plein de variations, de sauts d’humeurs. Une mélodie coquine, presque perverse qui m’envoûtait.
Je ne saurais dire combien de temps j’ai passé à travailler certains passages, les modifiant à ma façon, pour parvenir à pénétrer dans l’univers de la chanson. Encore aujourd’hui, mes doigts connaissent par cœur chacun des mouvements qu’ils effectuaient. Les notes sont ancrées dans ma tête, et en fermant les yeux, je me souviens de tout.

Dans le train pour Londres, en passant sous la Manche, mon cœur battait à tout rompre. Je ne quittais pas l’étui de ma basse des yeux. L’angoisse me prit très tôt, et je tremblais en foulant le quai de la gare. Il pleuvait ce jour-là, le froid des gouttes qui coulaient dans mes cheveux longs me tétanisait. Complètement perdu dans cette nouvelle ville, je marchais au hasard des rues, demandant mon chemin aux quelques passants bravant le climat.
Je parvins au pied d’une grande bâtisse plutôt ancienne, au fond d’une impasse. Deux annexes plus modernes y étaient rattachées, refermant ainsi les bâtiments autour d’une cour. Sur la porte principale était collée une affiche pour les auditions. Je me présentai à l’accueil. Pendant qu’une dame vérifiait mon dossier d’inscription, je scrutai le hall d’entrée. Un plafond très haut, de grandes fenêtres couvrant toute cette hauteur. La pluie en martelait les carreaux, troublant la vue vers l’extérieur. Bien que l’architecture soit assez classique, la décoration était, elle, moderne. Une sculpture abstraite trônait au centre de la pièce. Le comptoir derrière lequel se tenait la dame était en verre semi transparent et les quelques autres meubles qui se trouvaient là également.
Je n’eus pas plus le temps d’observer l’endroit, puisque la dame me rendit mon dossier, plus d’autres documents. De petites affiches indiquaient le chemin pour se rendre aux salles d’audition. Perdu dans ce labyrinthe d’escaliers et de couloirs, je guettais avec anxiété les panneaux. Je finis par déboucher dans une petite salle, où des sièges avaient été placés le long des murs. Trois personnes attendaient, apparemment aussi angoissées que moi. Je marmonnai un inaudible « bonjour » qui ne reçut aucune réponse. Je m’assis sur une chaise, bien droit pour une fois, tant j’étais angoissé. Je sentais mon corps paniquer. Ma respiration s’accélérait, mes muscles contractés ne bougeaient plus, sauf mes mains qui tremblaient bien trop fort. Pourtant je savais tout. Je devais avoir confiance en mon travail.
La tension atteignit son comble lorsqu’un homme entrouvrit avec un grincement gênant l'une des portes s’ouvrant sur la pièce pour appeler mon nom. Je me levai d’un coup, failli retomber par terre. L’homme m’adressa un sourire sympathique et me fit signe de le suivre. Les trois autres qui attendaient me lancèrent un léger sourire d’encouragement. Je m’agrippai à ma basse tandis que je traversais la pièce, comme si elle pouvait me rattraper si je tombais. L’homme me précéda dans la pièce. C’était une toute petite salle, aux murs ocre. La lumière était tamisée par les volets clos et l'air sentait légèrement le renfermé. L’homme s’assit à une large et longue table au fond, derrière laquelle se tenaient déjà deux autres personnes ; une femme plutôt âgée ainsi qu’un moustachu à l’air peu agréable. Il me désigna ma place, au centre de la pièce, où des enceintes étaient posées à même le sol, et où une chaise n’attendait que moi.
Je m’installais, branchai ma basse. Je n’entendis pas ce que me disaient les examinateurs. L’un me fit signe de commencer. Les notes se mélangeaient dans ma tête, tout tremblait. Le sol n’était plus droit et je voyais trouble.
Mais mes doigts trouvèrent d’eux-mêmes les cordes, et commencèrent le morceau. Seuls d’abord, puis le reste de mon corps s’éveilla à l’écoute de ces premiers sons hésitants. Suivit mon âme, qui traversa mes veines pour se joindre à la musique et donner vie aux notes. Mes yeux fixaient mes mains qui prenaient le contrôle de la basse. Mes oreilles reconnaissaient chaque son. Puis tout s’arrêta. J’avais fini.
Je levai lentement mon regard vers les examinateurs. Ils m’y répondirent par un simple « merci », sans émotion. Pourtant je sentais que j’avais réussi.
Le retour vers Bruxelles se passa comme dans un rêve. Je ne sais ce que j’ai répondu aux questions de mes proches. Oui, oui, oui, oui… L’émotion de ce moment me transporta encore quelques jours, laissant place à l’interminable attente des résultats. Un mois après les auditions, en août, je sus que j’étais pris.

Mon départ pour Londres fut imminent. Pas le temps d'y réfléchir à deux fois. Partir seul ne m'inspirait, cette fois-ci, aucune crainte. Avec ma mère, je cherchai un appartement. L'école m'avait mis en contact avec plusieurs élèves qui venaient également de l'étranger. Le contact passant bien, nous décidâmes de louer un appartement à plusieurs. Je ne connaissais pas mes futurs colocataires, mais l'idée me paraissait bonne.
Les premières semaines passèrent en un coup de vent. J'allais de découverte en découverte, tant musicalement qu'en tous les autres domaines. Les cours nous étaient donnés par des professionnels réputés, qui avaient une longue carrière derrière eux. Nous n'étions que quatre dans la section basse, mais les cours allaient vite et nos professeurs maintenaient le niveau haut. L'exigence de l'école me motivait à travailler pour garder le rythme des quelques génies qui m'entouraient. Nous travaillions comme des professionnels, puisque nos examens étaient en réalité des concerts. Rapidement, j'établis de nombreux contacts dans le monde de la musique. J'étais émerveillé de tout ce qu'il m'arrivait dans un laps de temps si court.
Je commençai à recevoir des propositions d'enregistrer pour des groupes. À Londres mais également un peu partout en Angleterre. Et plus j'y répondais, plus on m'en proposait. A côté de ça, je lançai un groupe avec d'autres élèves de l'école. Les professeurs nous encourageaient beaucoup, puisque selon eux cela nous permettait de nous créer un style. Mais aussi de continuer à étendre notre toile.
Car le monde de la musique est un monde de contacts. Il ne suffit pas d'être le meilleur musicien, il faut connaître les bonnes personnes. Se trouver aux bons endroits. Croiser les doigts pour avoir un peu de chance. Et toujours être à son maximum. Ce milieu cruel et sans pitié en avait déjà achevé plus d'un. Moi, je planais, bien au-dessus de toutes ces préoccupations.
La musique devenait ma raison de vivre. Peu à peu je me rendis compte que je pouvais vivre de ce que je faisais, ma bourse prenant en charge les cours. Ce sentiment d'indépendance ne me quittait plus. Plus rien n'avait vraiment d'importance, je vivais dans ma bulle dorée.

Il n'y avait pas que la musique. Les concerts me valaient beaucoup de nouvelles connaissances. J'oubliai mes amours passés dans les bras de parfaites inconnues, que je ne voyais que le temps d'une courte nuit.
Les soirées avec les autres élèves s'enchaînaient. Il y avait toujours une bonne raison de faire la fête; un anniversaire, un concert, un examen... L'alcool coulait, devenait mon propre sang. Il m'arrivait de me réveiller certains matins sans me souvenir des deux jours précédents.
À côté de toutes ces nuits passées dans des bars du tout Londres, je continuais à travailler à la basse. Les cours s'accéléraient. Mais mon travail en parallèle aussi. Les propositions me venaient maintenant de toute l'Europe. Je partais pour une journée, tout frais payé, à Amsterdam ou à Paris, à Barcelone ou à Prague. Grâce à mon réseau maintenant étendu, j'eus même l'occasion d'enregistrer pour un groupe japonais.

Pour ma deuxième année à Londres, il m'arrivait de ne plus aller en cours durant une semaine entière. Ou bien de m'y endormir. Ces nuits de folies me fatiguaient énormément. Pourtant elles m'étaient vitales. Lorsque la nuit tombait, je me sentais tout autre, beaucoup plus sûr de moi. Tout ce qu’il pouvait y avoir en moi de doutes disparaissait, laissant place à un moi différent. Le moi qui l'oubliait, elle. Le moi qui n'avait plus aucun contact avec ses amis de l'autre côté de la Manche. Le moi qui se torturait lui même. Le moi qui était victime des autres et de ses rêves. Et le moi qui ne s'en rendait même pas compte.

Bientôt, l'alcool ne nous suffit plus. Nos artères en étaient pleines, mais nos jeunes esprits redemandaient de cet état inconscient. Nous cherchions continuellement le moyen de partir aussi loin que les notes que nous jouions, de nous envoler avec elles. Aux alcools purs succédèrent les drogues. Tout, absolument tout, nous était accessible. Je planais seul, ma basse en main, pas tout à fait accro mais presque, à improviser des morceaux psychédéliques. Ma bulle dorée se refermait encore autour de moi, j'en chassai quiconque tentait de m'approcher. Je m'enfermais à double tour dans mon monde, déconnecté de celui dans lequel j'avais pu vivre avant. Les drogues me procuraient un semblant d'émotion que je ne trouvais plus ailleurs. C'était un enfer, un sentiment d'invincibilité totale. Un besoin pour se sentir au-dessus de tout.
Par nécessité, j'acceptais toutes les propositions d'enregistrement ou de concerts. J'avais énormément besoin d'argent. Je purgeais la musique de son sens afin de m'injecter du rêve. Jouer me valait de l'argent, donc je devais jouer. Chaque note résonnait dans ma tête comme le tintement des pièces qui me permettrait de m'évader.

Vinrent les premiers vrais dérapages. Je me retrouvai par terre dans ma chambre, après avoir renversé tous les meubles de la pièce, perdus dans mon propre corps. La sensation de tomber continuellement, sans rien pour me rattraper. Pas une main, pas une note, pas une mélodie. Juste le silence. Le silence absolu autour de moi. L'absence de sons dans ma tête. Si les auteurs ont la peur de la page blanche, ce vide, cet abysse sans sonorité où ma voix se perdait fut mon pire cauchemar. L'écho de mes appels résonnait désespérément contre les parois de ma bulle. J'étais seul. Horriblement seul.
Je n'avais plus mis pied à l'école et je finis par perdre contact également avec ceux que je pensais être mes amis.

Je tombais de haut. J'avais atterri au plus bas et je creusais encore. Je n'ose pas imaginer ce que je serais devenu si elle ne m'avait pas appelé. Une sonnerie. La même que celle qui m’avait signalé l’appel de mon frère. Mais cette voix que je connaissais si bien. Une mélodie, une musique douce et chantante à mes oreilles. Un tremblement dans sa voix. "Salut...Joyeux anniversaire" C'était un vingt-huit novembre. Il paraît que c'était mon anniversaire. J'avais vingt et un an. Isolé, l'esprit torturé, le corps déchiré. Mais elle était là.

Je pris ma basse et effleurai les cordes. Le son me traversa la peau, aiguisé comme une lame, puis me transperça le coeur. La douleur était insupportable. Pourtant je continuai. Je jouai ce morceau, celui-là même qui m'avait ouvert les portes de la gloire puis qui m'avait entraîné dans sa chute. Les notes s'envolaient plus haut que le plafond de la chambre brisaient la bulle que j'avais créée de toutes pièces. Et moi je restai là, incapable de les suivre.
Je me levai, chancelant.

Je savais que je reviendrais.

J’ai laissé mes sacs dans le couloir, ma basse avec. Puis j’ai surmonté les rangées de valises pour m’affaler sur mon siège. Voilà que le train s’ébranle, avec un bruit sifflant puis fracassant et régulier. Tacatac tacatac tacatac. Un rythme, une musique dont je me souviendrais toujours. Je quittai Londres.

Le silence de nos murmures

C'était un de ces endroits qu'on ne trouve que par hasard, en déambulant sans but dans les rues de New York. Comme un signe passager du destin qu'on aperçoit dans la brume de notre solitude, et qui s'offre a nous dans les moments d'obscurité. Personne ne l'aurait trouvé de jour, de toute façon personne ne le cherchait. C'était un de ces lieux qui vient à vous.
Un vieux bar noctambule, comme les années 50 en avaient vu naître par centaines, blotti aux pieds de grandes tours qui le protégeaient sans le savoir. Pas d'enseigne, panneau, carte, n'indiquait sa présence. Juste une lumière tremblante qui n'éclairait que la porte d'entrée.
Pourtant, rien ni personne ne le cachait.

Il en vécu des choses, il fut même célèbre à un moment. Une époque perdue où les gentlemen s'engouffraient en lui, accompagnés de femmes élégamment vêtues, couvertes de bijoux dans lesquels se reflétaient les lumières tamisées de l'intérieur du bar. Durant des nuits, les musiciens les plus adulés des foules animaient les soirées endiablées des visiteurs. Les plus courageux désertaient les lieux à l'heure où les rayons de l'aube parvenaient à traverser les fenêtres et rideaux.

Vingts années plus tard, le silence envahissait l'unique pièce du bar. La poussière recouvrait le sol en un océan de tristesse. En ouvrant la porte, Laura balaya la poussière sur un quart de cercle, provoquant ainsi une chaîne de vagues sur ce tapis gris et blanc. Un courant d'air s'engouffra à travers la porte grande ouverte et cette fois ce fut un raz de marée de poussière qui fut soulevé. Immobile, Laura faisait face à une pièce pleine de souvenirs qui n'étaient pas les siens. La porte claqua dans son dos, surprenant son corps qui tressailli. Elle fit quelques pas vers le comptoir, sur la droite. Le plancher craquait sous ses pas. Le vent soufflait toujours à travers les vitres brisées.
Le comptoir en bois roux longeait le mur droit de la salle sur presque toute sa longueur. À son extrémité, une scène de planches humides agonisait. Laura n'osa pas poser un pied dessus de peur de passer à travers. Elle fit demi-tour et observa un instant l'entassement de chaises en bois démembrées qui se trouvait là. Quelques tables rondes gisaient à coté. Laura essaya, du bout des doigts, d'attraper une chaise qui avait l'air en assez bon état. Son intrusion déséquilibra l'instable pile de meubles qui s'écroula avec fracas.
L'agent immobilier, surgi de nulle part, se précipita pour l'aider. À eux deux, ils mirent quelques minutes à remettre tout en place. Le gros homme pestiféra tout du long sur les conditions insalubres et dangereuses dans lesquelles il travaillait. Laura ne l'écoutait pas. Si bien que lorsqu'il posa la question fatidique avec une voix vide d''espoir, il ne s'attendait pas même à une réponse de la part de l'inattentive jeune femme. Pourtant, elle se tourna soudainement vers lui, et dans un faible mais ferme murmure, elle répondit « Oui, je le prends ».

Il était précisément vingt et une heure quand la mystérieuse femme entra dans le bar. Toujours emmitouflée dans son long manteau noir qu'elle abandonna au porte-manteau pour laisser apparaitre sa quotidienne robe rouge. Une petite robe moulante au buste, légèrement évasée au niveau des genoux. La couleur vive et profonde du tissu complétait celle de son rouge à lèvre, qui rendait sa bouche si attractive. Ses grands yeux maquillés de noir contrastaient, tout en élegance, avec le rouge qu'elle portait. Tout comme ses longs cheveux foncés, bouclés avec soin et tombant en cascade sur ces épaules nues.
Comme à son habitude, depuis exactement vingt-trois jours, compta Charles, elle s'assit au comptoir, sur l'un des hauts tabourets. Tout en commandant un whisky, elle repassa d'un geste nonchalant les plis inexistants de sa robe. A peine avait-elle poussé la porte du bar que le verre était déjà servi, tout prêt dans la main de Charles. Il n'eut qu'à tendre la main. Elle chuchota un vague « merci » dénué d'attention qui se perdit dans les murmures du bar.
À ses premières visites, Charles espérait un regard puis il accepta finalement le silence et l'inattention de la jeune femme. Il en avait bien l'habitude. En tournant la tête, las d'essuyer des verres, il observa un à un les différents clients du bar. Peut-être espérait-il découvrir un nouveau détail d'eux, quelque chose que ses sens auraient occulté. Mais non. Toujours eux. Toujours les mêmes. Identiques à ce qu'ils étaient la veille. Plongés dans leur silence.

Laura s'était résignée à jeter la plupart des meubles. Si quelques chaises avaient pu être récupérées, elle avait du jeter tables et tabourets. Chaque trajet vers la décharge lui paraissait difficile. Comme si elle arrachait ces objets à leur histoire. Le comptoir lui avait pris trois jours de travail pour reprendre son aspect d'origine. Quelques amis l'avaient aidé dans cette folle entreprise, mais elle s'était surtout découvert un talent pour le bricolage. Entourée des souvenirs qui hantaient l'ai autour d'elle, Laura travaillait jour et nuit. Lucy, elle, n'était venue qu'une fois. Au tout début, lorsque le bar ne ressemblai qu'à un champs de bataille entre humidité et poussière. Elle avait décider de ne revenir qu'après la fin des travaux. Décision que Laura ne pouvait que respecter.

À vingt et une heure dix, avec dix minutes de retard voulues par son caractère de célébrité, le vieux musicien s'installait. Sur la scène, il ne plaçait qu'une chaise, un micro qui ne fonctionnait pas, et sa guitare. Il se présentait chaque soir, bien que chaque membre de son maigre public le connaissait déjà. Il omettait volontairement ce détail. Alors il commençait à jouer, seul sur sa chaise, avec une fine lumière braquée sur lui. Des ombres dansaient sur son visage, en cachant l'entièreté à la salle. Il répétait souvent les mêmes morceaux, mais nul ne lui faisait remarquer. Malgré son public, il était seul. Perdu dans sa musique, absorbé par ses souvenirs. Et ses regrets. À une époque, sur cette scène-là, il se produisait avec tout son groupe. Des producteurs ainsi que le haute bourgeoisie New Yorkaise venaient l'acclamer. Il était payé des fortunes pour jouer quelques chansons. La foule lui jetait des fleurs. Les femmes le dévoraient des yeux. Il n'était jamais seul. Le jazz rythmait sa vie.

Un ouvrier peu téméraire avait atterri aux urgences en se prenant les pieds dans le bois pourri de la scène. Laura l'avait remplacé en aidant les autres à débiter ce qu'il restait de l'estrade. Dans un coin de la salle, des nouvelles planches attendaient d'être installées.

Joshua jouait toujours. Les notes quittaient la scène pour planer dans la fumée qui envoutait le bar. Bien qu'il n'y ait que quatre fumeurs dans la pièce, la salle entière avait adopté cette odeur pesante portée par un nuage lourd au-dessus de leur têtes. Charles connaissait par cœur la marque de cigarettes que chacun fumait, mais surtout la quantité et la fréquence. La femme à la robe rouge fumait continuellement, mais avec une superbe lenteur. Elle arborait fièrement son porte-cigarettes et n'utilisait que les cendriers blancs. Mrs Barxton, la vieille dame dans le coin, n'en fumait qu'une seule, une fois que le silence s'installait dans la salle et que Joshua quittait la pièce.
On aurait pu croire que chacun dans cette salle connaissait en profondeur ceux qui l'entouraient. En réalité, il ne s'adressait jamais la parole. Pas par haine, ni par mépris ou dégoût. C'était comme ça, que silencieusement, ils avaient établi les choses. C'est ce que venaient chercher ces visiteurs nocturnes dans ce bar. Une porte de secours pour échapper, le temps d'un instant, à leurs vies. Aux fantômes qui les hantaient. Une pause dans le temps, une faille dans l'inlassable routine de leur quotidien.
Tandis que Joshua jouait, le silence était complet dans la pièce. Tous l'observaient sans vraiment le voir, mais sans jamais le quitter des yeux. Á l'exception de Charles, qui, au contraire, s'appuyait sur le grand bar de bois pour scruter minutieusement le silence de ces clients. Maintes fois il avait imaginé pouvoir lire dans leurs pensées, à force de les observer. Il s'était amusé un temps à leur inventer une vie, un travail, une famille. Finalement il se contentait de regarder, laissant libre cours à ses pensées. Regrets. Nostalgie. Peur. Tristesse. L'ambiance était pesante.

Le bar était prêt. Pourtant il semblait toujours aussi mort. Laura compara la pièce à un pantin inanimé, sans âme. Froid. Elle se tenait debout, seule au milieu de cette salle, et elle sentait un immense vide l'envahir. Devait-elle regretter d'avoir balayé les cadavres de l'endroit? Avait-elle chassé avec eux les murmures qui emplissaient auparavant le silence?

La soirée était bien avancée. Le beau jeune homme ténébreux dans son coin d'ombre allait bientôt partir, juste avant que Joshua ne termine ses derniers accords. Mr Corrs se leva, légèrement en avance sur son heur habituelle. Il ramena son verre vide au bar, salua d'un signe de tête qu'il n'adressait à personne puis passa la porte. La nuit l'engloutit.
Joshua cessa de jouer. Le silence se fit tandis qu'il quittait la scène. Mrs Barxton alluma sa dernière cigarette. Le jeune homme avait disparu, se faufilant en toute discrétion pour quitter la salle sans déranger personne. Bien qu'il n'y eut personne à gêner. La femme en rouge prit une dernière lampée dans son verre, mais ne bougea pas. Elle partait toujours la dernière. La vieille dame fini calmement sa cigarette dans un nuage de fumée opaque qui se confondait avec ses cheveux gris. Lorsqu'elle déposa les vestiges de sa cigarette au fond du cendrier, Charles lui apporta son manteau et l'accompagna jusqu'à la sortie. Il savait que Joshua serait déjà parti par la porte arrière destinée au personnel. La femme en rouge allait donc bientôt se lever.

Laura continuai de chercher un moyen de ranimer l'ancien bar. Alors qu'elle faisait les cents pas, quelqu'un passa dans la ruelle, et elle l'aperçut à travers les grandes fenêtres. Le jeune inconnu écoutait de la musique. Laura comprit subitement sa plus grande erreur. Avec tout les travaux, elle en avait oublié le rythme qui faisait battre le cœur de l'endroit. La musique. Le jazz.

Charles fit semblant d'essuyer des verres afin de dissimuler sa surprise. La femme en rouge, toujours perchée sur son tabouret, le fixait avec des yeux aussi poignants que des lames. Le barman se demanda si, elle, avait la capacité de lire les esprits. Cela ne le gênait pas réellement d'être cobaye d'une telle expérience.
Durant de longues minutes, Charles fit preuve d'imagination pour faire mine de s'affairer derrière son bar. Il aurait attendu des heures, patiemment, que la femme en rouge agisse.
«  Pourriez-vous remplir mon verre? »
Surpris, Charles acquiesça et s'exécuta immédiatement. Sauf qu'à la place de servir un verre, il en prépara deux. Pour lui. Pour eux.
La femme en rouge changea de regard.

La jeune femme avait passé plus d'une heure à rechercher le musicien qu'il lui fallait sur internet. Elle ne connaissait que son prénom et cela ne suffisait pas. Elle fini par tomber sur un vieil article, dans les archives en ligne d'un journal. Sans prendre la peine d'éteindre son ordinateur, elle attrapa son sac et parti pour la bibliothèque.

Le cœur de Charles battait si fort qu'il était convaincu que la femme devait l'entendre de l'autre côté du bar. En un regard, elle avait tout fait basculer. Le quotidien. Le lourd poids de l'air autour d'eux. Aussi surpris qu'il fut, Charles se ressaisi. Ils trinquèrent et burent en s'observant du coin de l'œil. La femme reposa son verre et se leva en prenant garde à sa robe. Le barman, déçu, la fixa d'un regard réprobateur. Tout en revêtant son manteau, elle tourna son délicat visage vers lui. Et juste avant de disparaître dans la nuit de New York, elle annonça: « Mrs Barxton a un petit-fils qu'elle ne voit jamais car sa fille ne la supporte pas. Elle regrette beaucoup d'un jour mourir sans l'avoir connu. Heureusement, sa fille va changer d'avis. Pour quelques temps. ». Elle sortit.

L'article donnait la biographie d'une étoile montante. Un jeune homme qui conquérait un à un les plus grands producteurs. Idole de nombreuses demoiselles, il était une promesse du jazz. Maintenant qu'elle connaissait son nom, elle allait pouvoir le retrouver, lui et sa musique. Vingt ans après.

Elle avait dit cela dans un murmure, un souffle, avec une voix différente, douce mais ferme. Charles l'avait entendue sans l'écouter, et se remettait de son étonnement en tentant de se souvenir de ses paroles mot pour mot. Pourquoi? Comment savait-elle cela? Charles resta interdit. Une minute. Une heure. Une vie. Il ferma le bar et partit en marchant. Lentement. Sans s'en rendre compte. Il vivait ces instants dans un autre monde, perdu dans ses pensées. La femme en rouge ne les quittait pas.


Laura rentra chez elle en faisant de longs détours, profitant de la tiédeur de cette nuit d'été. Les gens autour d'elles se pressaient, se bousculaient. Elle empruntait les ruelles désertes et marchait en compagnie de leur calme. Loin des sons bruyants de la ville. Les plus belles musiques sont celles qui égalent le silence.

Le lendemain soir, la vieille dame aux boucles grises vint accompagnée. D'un jeune garçon. Un petit homme aux mêmes cheveux bouclés, mais d'un blond doré. Il semblait intimidé par l'endroit, bien qu'il ne le fût surement pas autant que les habitués du bar ce soir-là. Leurs huis clos s'était craquelé. Le garçon, comme une menace extérieure, venait perturber la continuelle routine de ces nuits.
Tous l'avaient remarqué. Mais personne ne réagit. Le petit-fils et sa grand-mère s'installèrent à sa place habituelle. Charles ne pouvait détourner son regard du garçon. La femme en rouge ne s'était donc pas trompée. Elle entra au moment où il apportai son verre à Mrs Barxton. Sans même un coup d'œil vers eux, elle se hissa sur son tabouret.
Charles retourna derrière le bar et dévisagea la jeune femme. Elle l'ignora complètement, et porta son attention sur le vieil homme qui montait sur scène. Le silence se fit. Avant de laisser place aux notes et au jazz.

De retour chez elle, Laura écouta les vieux CD que lui avait prêté Lucy. Elle s'enfonça confortablement dans sa canapé et se perdit dans la musique. Dans ses rêves, elle s'imaginait la fumée. Les verres de whisky avec le tintement des glaçons. Les personnages énigmatiques cachés dans l'ombre.

Le garçon ne prononça que quelques mots, chuchotés discrètement à sa grand-mère. Elle acquiésa alors légèrement de la tête, puis se tournait machinalement vers Joshua.
Lorsqu'il quitta la scène, le jeune homme discret de la table du fond avait déjà disparu. La femme en rouge se transforma en statue. Elle fixait toujours la scène, comme pour devenir invisible. Le vieil homme se leva avec une apparente difficulté. À la grande surprise du barman, il s'approcha du garçon. D'une voix fatiguée, il lui demanda s'il avait aimé la musique.
« Je sais pas. C'est un truc de vieux. Moi j'aime pas. Maman a dit que ça ferait plaisir à la dame »
L'homme soupira. Il alla récupérer son manteau, essuya discrètement une larme au coin de son oeil ridé et ouvrit la porte. Il mit quelques minutes à en franchir le seuil. Charles l'entendis murmurer, comme pour lui-même « Les temps ont bien changé ». Il disparu. Tapis derrière son comptoir, le serveur, ressenti un léger pincement, et son esprit s'emplit de tristesse. De lassitude. Les émotions du vieil homme se confondaient avec les siennes. Lorsqu'il quitta enfin la porte des yeux, il remarqua que ceux de la femme en rouge, eux, la fixait toujours. La statue avait bougé en une seconde, pour reprendre son immobilité infinie.
En soupirant, le barman apporta son manteau à la vieille dame. Elle semblait transportée dans un autre monde, son regard se perdait dans le vide. Devenue une inconnue pour cet enfant. Une inconnue à elle-même. Une femme sans beauté, accrochée à des regrets trop vieux pour encore exister. Écrasée sous le poids de ses erreurs et de leurs conséquence irréversibles qui construisaient sa vie. Celle-là même qu'elle n'avait eu qu'une fois à vivre. Et qu'elle aurait retraversée des centaines de fois. Ou au moins une. Pour dire pardon. Pour dire je t'aime. Pour dire j'ai choisi.
Elle prit la main du garçon, et, toujours perdue dans son néant, quitta la salle.

Laura se réveilla en sursautant. La musique s'était éteinte. La pièce était sombre. Elle se leva, alluma la lumière et prit son ordinateur. Les messages s'y accumulaient mais elle n'avait aucune envie d'y répondre. Un sentiment de solitude l'emmitouflait. Malgré toutes ce images dans sa tête. Elle se rendormit pelotonnée dans le canapé.

Charles s'affala sur une chaise. La statue rouge et sans vie se tourna lentement vers lui. Il fixait la scène vide, laissant le silence l'entourer. Ces deux personnes. Qui auraient pu être heureuses jusqu'au bout. Et qui ne voulait pas quitter leur passé. Pour qui la vie ne suffisait pas, et pour qui le bonheur était hors de portée. Deux vieillards, enveloppés dans leurs manteaux de tristesse au lieu d'accepter de s'en débarrasser. Il ne comprenait pas la torture qu'ils s'infligeaient.
Le temps passa. La nuit emplit la pièce tandis que la vie la quittait.
Puis un souffle d'air froid brisa l'instant. La porte s'était rouverte. Le jeune homme de l'ombre entra. La statue rouge suivit son entrée des yeux sans bouger quoique ce soit d'autre de son corps. Il referma la porte puis fit quelques pas en avant. Sans adresser la parole à Charles, qui regardai la scène ébahi, il s'enfonça dans la salle, poussa la porte réservée au personnel. Les bribes d'une conversation parvinrent aux oreilles du barman, mais il n'essaya pas de les saisir. Puis Joshua et le jeune homme revinrent, poursuivant un manège incompréhensible pour Charles. La statue et lui les fixaient tandis qu'ils installaient la chaise sur l'estrade. Pendant que Joshua céda sa place à l'inconnu. Qu'il lui abandonna sa guitare. Ses partitions. Et qu'il quitta la salle.

Laura ne pouvait s'empêcher de se retourner toutes les secondes. La nuit ne passait pas. Elle se sentait abandonnée. Spectatrice d'elle-même. Et d'une scène qu'elle aurait aimé voir. Pour mieux les comprendre. Et recréer l'irréel de Lucy pour l'ancrer dans une subjective réalité.

Les sons s'élevèrent doucement de l'instrument. Tout d'abord tremblants et frêles, puis de plus en plus assurés. Les sons devinrent des notes, puis leur harmonie une musique. Musique qui assombrit le silence. Ils restèrent tout trois dans la salle. Sans vie. Sans partage. Juste trois statues isolées. Séparés par le silence de leurs murmures désespérés. Sans attentes.

Laura se leva enfin. Le jour s'était levé. Le grand jour. Elle s'habilla, prit toutes ses affaires et se mis en route pour le bar. Tout le monde était déjà sur place quand elle arriva. Même Lucy dans sa robe rouge, prête à réciter son propre rôle.

Jusqu'au petit matin ils ne bougèrent pas. Le jeune homme jouait toujours, inlassablement. Doucement, il posa la guitare. Il traversa la salle sans se presser et sortit. Puis la femme en rouge quitta son tabouret. Même en marchant, semblant d'action, elle restait sans vie. Juste avant d'affronter la lumière d'un jour nouveau, elle regarda Charles. Dans ses yeux se reflétaient les vies de regrets qu'elle venait de détruire. Ces passés qui disparaîtrait avec elle.

La jeune réalisatrice appela toute l'équipe. Lucy se rapprocha d'elle, apparemment aussi à l'aise dans sa robe rouge que vingt ans auparavant. Prête à refaire passer son message. À graver ces passés dans les esprits, à leur donner un écho infini, à offrir à tous les silences qu'elle avait un jour volés. Laura leur donna quelques dernières consignes et leur rappela à quel point le projet lui tenais à cœur. Puis elle ouvrit le scénario à la dernière scène. Sur la confrontation entre Lucy et Charles. Entre rêve et réalité.
Tous se mirent en place. Le silence se fit. Le cameraman vérifia ses plans et l'ingénieur testa la lumière. Laura se redressa dans sa chaise. Elle lança un clin d'œil à Lucy.
« Action! »

Une pièce de théâtre, une soirée et un coup de téléphone après

J’adore les dimanches après-midi. Mais attention, pas tous ! J’aime ceux où l’on traîne en pyjama jusqu’à midi, où on fait un tour de vélo puis une longue sieste. Ceux où l’on fait des gâteaux entres amis, qu’on regarde des films au beau milieu de la journée. Ces dimanches là, je les adore. Le seul problème , c’est que des fois, je vis des fins de semaines, disons, hors normes. Vous voyez le genre de week-end où vous regrettez la semaine ? D’accord ça n’arrive pas souvent, mais de temps en temps… il faut y faire attention.

Comme lorsque le samedi soir vous atterrissez devant un scène, assise comme la centaine de personnes autour. Tout à coup, vous apercevez, là-bas sur l’estrade, un beau mec torse nu, qui déclare son amour à sa belle en danger. C’est beau l’amour, pensez-vous, jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que la belle en danger ce n’est pas vous, alors que le mec, et bah, c’est le vôtre. Horreur ! Vous tournez la tête de tout les côtés, mais autour, ce ne sont que de jeunes filles en extase et des gamins soulevant timidement leur tee-shirt dans l’espoir de trouver en-dessous les mêmes abdos que ceux du protagoniste. Vous n’avez plus qu’a vous rasseoir en vous rabâchant que ce tas de muscles est à vous, et que, non, il n’embrasse pas la belle en danger pour de vrai. Moi je dis ça, je dis rien.

Comme ces soirs où vous rentrez chez vous, totalement en manque de votre acteur chéri et verte de jalousie envers la belle en danger, et où vous envoyer des sms à tout votre répertoire dans l’espoir d’engager une conservation. En vain, à minuit, les gens dorment apparemment. Vous voyez ce genre de soir où vous passeriez bien la nuit à deux ? Ce genre de soir où quand vous appelez votre acteur chéri, il vous répons qu’il est avec votre gentille meilleure amie. Qui est aussi la sienne soit dit en passant ? Ces soirs donc où pour ne pas jalouser la gentille meilleure amie, vous bossez vos cours jusque tôt le matin. Moi je dis ça, je dis rien.

Comme ces dimanches après-midi, où, ennuyée par votre famille, vous vous enfermez dans votre chambre pour terminer votre boulot en écoutant la radio. Vous voyez ce genre d’après-midi où vous seriez prêtes à vous inventer du travail pour vous occuper et où vous jonglez entre le frigo, le bureau et les sms de la gentille meilleure amie ? Ces après-midi où lorsque votre acteur chéri vous propose d’appeler, vous êtes prête à tout pour dérober le téléphone fixe familial, même à accepter de faire le boulot de votre détestable sœur. Ces appels où on parle d’amour au théâtre qui nous rappelle l’amour en vrai. Ceux où l’acteur chéri tient absolument à vous raconter en détail sa soirée avec la gentille meilleure amie et où vous ne savez pas trop pourquoi, vous le questionnez en plus. Ce genre d’appel qui s’achève brusquement parce que le super meilleur ami vient de sonner à la porte de l’acteur chéri. Moi je dis ça, je dis rien.

Vous voyez ce genre de fins de semaines frustrants où vous prieriez bien pour vous aussi être l’actrice chérie qui sauve le beau en danger, qui passe des soirée avec le super meilleur ami et qui raccroche au téléphone parce que la gentille meilleure amie a sonné (oh quelle surprise !) à la porte ? Oui, c’est bien ça, ces dimanches où vous dites que tout de même, c’est fou ce que vous l’aimez. Et n’oubliez pas de faire les devoirs de la détestable sœur ! Moi je dis ça, je dis rien.

Un instant d'infini - Rencontre

Une foule. Qui le bouscule, l'écrase et l'étouffe. Des Hommes, tous pareils, identiques. Aux yeux vides, aux visages ternes. Une foule qui fourmille dans tout les sens, des êtres pressés qui apparaissent et disparaissent sans laisser de trace. Et lui, au milieu, voulant marcher droit mais qui titube. Seul, perdu, engloutit dans un océan de personnes. Ou plutôt des corps, insouciants, incapables de ressentir sa détresse. Cette faiblesse qu'il cache aux plus inaccessibles endroits de son esprit. Ces erreurs que cachent son silence. Et son déguisement de sourires. Il marche tête relevée, pour ne pas se fondre et se perdre dans la masse informe des âmes ambulantes qui l'entoure. Mais il sent qu'il n'y arrive plus. Sa différence s'efface, lentement, elle glisse sur sa peau et le quitte.

Démasqué. Le regard d'une femme. Un seul. Des yeux spiritueux, malins, qui plongent au plus profond de lui. Il s'arrête, stupéfait. Elle ralentit, passe tout près, le frôle. Il frissonne. Son masque tremble, vole en éclat. Elle le dénude du regard, l'expose aux yeux de tout ceux qui ne voient rien. Il panique, se reprend. Il est toujours debout, dans la foule, immobile. S'opposant à la vague mouvementée des corps. Elle le dépasse, disparait derrière lui. Il la sent encore dans son dos. Inconsciemment, il se retourne. Elle est encore là. Elle l'attend. Il la suit.

Rêve

Un rêve c’est comme tout, voyageur dans l’âme, vagabond dans ses désirs. Un rêve, ça nous hante, ça accapare notre esprit, ça lui dicte sa conduite. Ça nous pousse à vouloir le réaliser, à désirer sa présence. Les rêves sont capricieux, ils changent avec le temps, traversent les personnes pour disparaître rapidement. Mais les rêves sont acharnés. Ils ont une volonté de fer. Grâce à eux, l’on surmonte les peines et les désillusions, l’on se sent capable de s’envoler en un bond. Parfois, ils sont joueurs et se placent à portée de la main. Ils nous appellent, nous charment et nous attire pour mieux s’évanouir. Et alors l’on reste seul, face à notre lâcheté qui nous empêche de les poursuivre, ces rêves qui s’enfuient. Des fois, une vague d’envie arrive, portant avec elle un peu de volonté et de confiance. On croit alors, l’espace d’un instant, que tout est possible. Mais les rêves sont éphèmères et nos envies passagères.

Nocturne

Elle se retourne face à moi, gémissant dans son sommeil. Les draps glissent sur sa peau, comme la mer qui se retire, découvrant désormais son corps jusqu'aux genoux. Ses cuisses se croisent, dissimulant le creux de ses hanches, falaises surplombant l'abysse. Les ondulations de l'océan se dessinent par la voluptueuse courbe qui lie poitrine et bas du dos. Son ventre se soulève en vague au rythme calme de sa respiration. Tout près, ses seins tanguent avec ce flot régulier, dans un lent mouvement de va et vient. Puis, surplombant cet océan de trésors, c'est son visage pâle et innocent qui se découvre. Un ensemble parfait de traits légers, d'une peau aux grains fins et à la douceur des sables chauds. Encadrant ce visage rond, les cheveux clairs, mais presque bruns dans la pénombre tombent en cascade sur ses épaules et sa poitrine. Elle frémit, et toute la chevelure tremble avec elle. Ses fines mains se reposent sur le matelas. Le jour balayera ce corps merveilleux et emportera ses secrets dans les profondes cachettes de ma mémoire.

De nouveau, elle s'agite. Comme si elle m'appelait, je viens me blottir tout contre elle. Sa peau est froide, et pourtant si agréable. Je serais tenté de plonger dans cet abîme qui m'est offert. Son souffle est une brise chaude qui se heurte au mien. Mon corps épouse ses innombrables courbes. Je sens la houle de sa respiration imposer son rythme. Je m'endors, bercé par le roulement de nos rêves.

Mes heures et les tiennes

- Ça fait une heure que j’attends !
- Que tu attends quoi ?
- Que j’attends.
- Oui mais, quand on attends, c’est ce qu’on attend quelque chose.
- Moi j’attends. Depuis une heure.
- Ha. C’est beaucoup.
- Ça fait deux heures que j’attends !
- Deux heures ? Il y a quelques secondes cela en faisait seulement une.
- C’est parce que ça a fait une heure longtemps.
- Si tu n’attends rien, pourquoi tu n’arrêtes pas d’attendre ?
- C’est pas parce que j’attends rien que je n’attends pas… ça fait trois heures que j’attends !
- Déjà ? Le temps passe vite avec toi .
- Non, pas du tout. Moi ça fait quatre heures que j’attends !
- Et tu vas attendre encore longtemps ?
- Non. Juste le temps d’attendre. Ça fait cinq heures que j’attends !
- Tu n’en as pas marre d’attendre ?
- Vous avez déjà aimé attendre vous ? ça fait six heures que j’attends !
- Et si je te disais que ça en fait déjà douze heures en fait ?
- Oh ! Ah bon ? J’ai du me tromper. Ça fait treize heures que j’attends ! J’ai pas de montre, alors parfois je me perds.
- Tiens, je t’offre la mienne.
- Il est bizarre votre temps ! J’ai même pas le temps d’attendre avec.
- C’est parce que le temps passe trop vite pour passer si longtemps à l’attendre.

La poupée

La poupée (première version)

Objet de toute beauté, corps de femme miniature aux cheveux ondulés. Blonds pour l’innocence, fins et légers comme les traits de ce visage juvénile. De grands yeux ronds, couleur inconnue, mélange de ciel, terre et rêve. Une petite bouche rose, qui ne demande qu’à embrasser. La silhouette fragile, frêle, à la peau de porcelaine. Un objet à posséder, à observer sans toucher.

Qu’elle est belle cette demoiselle. Charmante et adorable. Une jeune femme si jolie qu’elle semble fausse, crée de toute pièce par d’habiles mains. Ses sourires brillants sont des armes charmeuses qu’elle manie avec aisance sur les premiers venus.

Tu la regardes virevolter, irradiante de bonheur, et elle déteint doucement sur toi. Le jouet tire les ficelles, t’attire vers elle. Tu crois que tu l’aimes, elle, ses hanches que tu prends délicatement pour ne pas la briser, ses cheveux si doux dans lesquels tu perds tes mains. Tu l’embrasses. Ses yeux malins ne te quittent jamais. Les miens, tapis, non plus.


La poupée (deuxième version)

Qu'elle est belle cette demoiselle à ton bras. Charmante et adorable. Tout le monde le dit. Surprenante même, on ne l'aurait pas attendue ici, près de toi. Une jeune femme si jolie, qui souris sans cesse. Oh, ces sourires brillants qu'elle offre au premier venu, tout en gardant les plus beaux pour toi. Elle irradie de bonheur, et elle déteint sur toi. Des tâches de joie apparaissent peu à peu dans ton regard. Tu la regardes virevolter dans votre bonheur. Tu la prends par les hanches, délicatement, comme pour ne pas briser sa peau de porcelaine. Doucement, tu l'attires vers toi, repousse ses cheveux si doux dans lesquels tu perds tes mains. Tu l'embrasses, elle hésite à fermer les paupières, de peur de quitter ce rêve en les rouvrant. Ses yeux ne te quittent jamais. Les miens non plus.

Je te hais, tu me détestes

Je t’aime, tu m’aimes. Je te hais, tu me détestes. Je te regarde, tu m’observes. J’ouvre les yeux, tu les fermes. Je détourne le visage, tu te plonges dedans. Je te frôle, tu me caresse. Je pleure, tu souris. Je hurle, tu cries. Je parle, tu discutes. Je marche, tu prends ma main. Je pars, tu me suis. Je te quitte. Tu restes. Tu m’aimes.

J'adore quand ça gueule dans la cuisine

Je me suis souvent demandée à quoi servaient les salons, les chambres, les ateliers, les salles de bains, les salles de bal, les couloirs, les boudoirs, les entrée et les sorties dans une maison… Parce que finalement, ce qui fait toute l’habitation, c’est la cuisine.

C’est dans la cuisine que l’on découvre la réalité sur une famille. Les familles du bonheur, par exemple, ont un frigo rempli même le dimanche. Dans les familles… normales, le frigo est plein le jour des courses, un jour sur sept, deux heures sur vingt-quatre. Dans les familles parfaites, il y a une motte de beurre au frais et une à température ambiante. On trouve dans ces cuisines des coupes-pommes, des roulettes à pizza, des poivrières électriques, des couteaux qui coupent, une réserve de glaçon, une boîte de chocolats avec des chocolats dedans. Dans les familles parfaites, le lavabo brille (lavé écologiquement), la poubelle est parfumée aux fleurs des caraïbes et les assiettes sont rangées dans leurs placard séparées des verres (c’est possible ça ?).

Mais surtout, dans les cuisines de ces gens-là, il n’y a pas de débris par terre, genre assiette brisée, verre éclaté, carafe renversée. Normal, dans ces familles-là, il n’y a pas d’engueulades dans la cuisine. Pourtant cette pièce, c’est le no man’s land dans la plupart des clans. C’est le champs de bataille de l’armée des enfants et les tranchées de l’empire parentale qui y conçoit des plans d’attaque en astiquant ses armes. C’est dans la cuisine que les petits font des lancers de yaourts, des joutes avec des carottes et des poireaux, que les sœurs balancent tout par terre pour faire croire qu’elles gueulent plus fort l’une que l’autre. La cuisine c’est le refuge des parents qui veulent comploter avec discrétion, c’est le point de départ des séismes familiaux et des catastrophes en tout genre.

Mais la cuisine, c’est aussi le point de ralliement de la tribu autour d’un gâteau. N’empêche que moi j’adore gueuler dans la cuisine. Quand on crie, ça résonne et on a accès au couteau à pain, à la marmite d’eau bouillant et au mixer pour se défendre.

Heureusement que je ne vis pas dans une famille du bonheurs, parce que se défouler dans la cuisine, c’est le bon plan. En plus après une bataille perdue, suffit de tendre la main pour attraper la boîte de chocolats.

Ha merde, forcément elle est vide.

Il faudrait que je t'aime

Marcher droit, retenue par la douce étreinte de ta main. Mais avoir le regard ailleurs, les yeux qui détaillent minutieusement les alentours. Qui cherchent quelqu’un. Quelqu’un d’autre. Tu continues d’avancer, au même pas, sans ciller. Droit.

Le paysage défile, à présent mon visage se détourne. Je me souviens d’avant, j’imagine l’après. J’essaye de dessiner dans mon esprit le bout du chemin mais je n’en vois pas la fin. Je veux résister, m’arrêter sur le bord, réfléchir un peu. Mais mon corps continue de te suivre sans résistance. Tu ne me regardes même pas, tes yeux sont fixés sur l’horizon.

Mes jambes pèsent de plus en plus à chaque pas. Tu sembles flotter au-dessus du sol. Un pied devant l’autre, inlassablement. Et moi qui retire doucement ma main. Qui te laisse prendre de l’avance. Ta silhouette disparaît, ne s’aperçoit peut être pas que je ne suis plus là.

Les larmes envahissent mes yeux, brouillent ma vue. Tout se mélange, tout se perd. Ta présence disparaît, les images s’effacent. Je voudrais les retenir, au moins quelques-unes. Les larmes coulent jusqu’au sol.


Mes sens s’éveillent lentement. J’entends de nouveaux sons là-bas. D’autres couleurs attirent mon regard de ce côté. Le vent me repousse gentiment.
Je vais rester un peu là. Découvrir ce dont je ne connaissais pas l’existence. Je connais le chemin pour te rejoindre.

Face à face

Les seules lumières étaient celles du tableau de bord de la voiture. Le orange fluorescent du compteur clignotait légèrement, rendant compte de l'état du véhicule. Il se redressa et tout son dos se détendit en craquant. Il était bientôt deux heures du matin, et il n'avait toujours pas bougé. Encore quelques heure et son service serait fini. Il s'imaginait déjà son lit, la couette et l'oreiller qui l'attendaient, mais surtout elle. Elle qui fixait l'obscurité de la chambre, surveillant nerveusement son portable. Dans l'angoisse des ombres. Dans l'attente désespérée du grincement de la porte.
Le temps s'écoule si lentement lorsqu'on le passe en silence. Sans aucun bruit pour distraire un homme hormis celui de ses encombrantes pensées. Leurs vagues qui rebondissaient contre ses tempes dans un chaos effroyable. Et aucune pour rester en place. Il avait envie de leur dire, à ses pensées indomptables, qu'il avait besoin de calme et de concentration. Dans sa tête comme à l'extérieur de la voiture, la tempête faisait rage.

Il mis en route les essuie-glaces pour frayer un champs de vision correct à ses yeux. La maison était à quelques mètres de lui seulement, et pourtant il n'en décelait pas les contours. Les gouttes martelaient le pare-brise comme une armée en marche. L'eau s'attaquait au capot et au coffre tandis que le vent froid s'infiltrait par l'aération. Envahit par les éléments et trahit par ses propres pensées, il pensa un instant quitter la voiture. Idée qu'il tenta vainement de chasser et qui parti s'allier aux fracas de son esprit.

Le silence autour d'elle devenait aussi bruyant que n'importe quel son. Il se glissait tout autour du lit, envoûtant la pièce d'un halo muet, étouffant les bruits de la nuit. Les ombres arrêtèrent leur danse pour entamer un mouvement mystérieux. Perdue dans l'agressivité de la pénombre, elle ferma les yeux.

La portière résista à sa pression comme pour lui montrer son désaccord. Bien que le véhicule soit sa protection la plus sûre, il senti le besoin de sortir, comme pour s'enfuir in extremis d'un traquenard où il serait piégé. La portière fini par plier à son ordre et s'ouvrit. Une bourrasque de vent et de pluie l'accueilli en territoire hostile. Il commettait une erreur et il le savait pertinemment.

Elle se recroquevilla sur elle-même, fermant et ouvrant les yeux pour ne pas arrêter de scruter le silence. Mille et un sons s'y opposaient, dans une musique discordantes qui pénétrait en elle. Des cris, des pleurs, des hurlements, des appels, l'écho infinis des voix perdues. Une ligue de mots abandonnés. Un silence atroce.

Il fila sous l'abribus de l'autre côté de la route. Légèrement protégé de la tempête, il alluma une cigarette. La braise à son extrémité devint son unique repère dans l'enfer froid dans lequel il se trouvait. Il ne quittait pas la maison des yeux, bien que la pluie brouille sa vue. Ses pensées s'accélérèrent dans sa tête, cognant à la porte de sa conscience. Il résista à l'assaut.

Les combats commencèrent entre ombres et sons. Les formes indéfinies luttèrent avec force contre l'invasion des cris, qui se heurtèrent à la froideur d'un silence implacable. Elle fixait cette guerre en se demandant qui en sortirait vainqueur. Et si elle survivrait à cette nuit. Où était-il?

Le vent parvint à faire pénétrer la pluie sous l'abribus, et il se retrouva trempé en quelques secondes. Il regarda sa montre, le temps ne se décidait pas à passer. Un soupir le surpris, et il se ressaisi. Devant la maison, rien ne bougeai. Les épaisses gouttes d'eau continuaient de former un rideau opaque devant ses yeux. Il regagna la voiture en quelques pas. De nouveau coincé dans sa cachette précaire, il tenta de se concentrer. Une ombre avait bougé, là quelque part sous les feuilles. Ou était-ce le vent? Les vagues dans sa tête se calmèrent l'instant d'une seconde. Son souffle se coupa. Il n'entendait plus rien que le bruissement des feuilles. Aucune sensation ne l'envahissait. A part le froid du métal dans sa main.

Elle alluma la lumière dans une ultime tentative pour retrouver le calme. Sa respiration s'emballait, et tous ses membres tremblaient. La pièce inondée de lumière semblait tout autre. Mais toujours pas rassurante. Les ombres étaient tapies sous les meubles et aux pieds des fenêtres en attendant leur tour. Le silence avait battu en retraite, chassé par la quiétude de la lumière. Elle regarda l'heure, qui tournait sans passer, qui avançait en reculant, qui ne voulait pas lui rendre son homme.

Sans quitter l'ombre humaine des yeux, il sortit de la voiture. Cette fois, la portière s'entrouvrit doucement, sans résistance. Il posa un pied dehors, puis deux. Son arme pointée vers la silhouette. Il fit quelques pas, sans bruit. Les éléments se déchainaient. Pourtant il était seul. Tout en lui était porté dans cette arme. La nature se soumettait.

Elle éteignit de nouveau la lampe. Le froid se faufila de nouveau sous la couette, atteignant son corps sans protection. Puis elle le chassa. De toutes ses forces, elle le repoussa, hors du lit, hors de la pièce. Puis elle fixa le silence.

Il avançait toujours. Dans la nuit noire qui l'entourait, chaque murmure observait la scène. Il s'arrêta à quelques pas de sa cible, dans son dos. Il ne chercha pas même à respirer. D'un geste brusque mais contrôlé, il renversa la silhouette et braqua son arme.

Face à face.
Elle et le silence. Lui et la peur.
Eux.

La porte grinça. Les yeux embués de larmes, elle tourna la tête. Il était là. La nuit devenait pénombre. Le silence devint murmure. Le chaos devint l'infini.

Et si, peut-être

Rêver, d'avoir une chance, une seule. Avoir encore un atout à montrer, un regard qui dit tout ce que les yeux veulent cacher. Oser lever le regard, fixer le tiens, se détourner, avoir le cœur qui bat en se demandant si tu veux jouer. Se montrer, se cacher, en espérant que tu cherches. Se trahir, si c'est la seule façon, te dévoiler ce qu'il y a sous le masque. Espérer, que tu réalises que je suis là, que tu me voies parmi les autres. Que tu ne les regardes même plus. Arrêter de te tourner autour et m'arrêter devant toi. Jouer le tout pour le tout. Demander, exiger ta réponse. L'imaginer, le oui, le non. La joie ou les abîmes. Quel qu'elle soit cette réponse. Pour savoir, pour être sûre, pour ne pas regretter. Pour ne pas me demander encore une fois, « et si? ». Ces mots, si petits, qui ouvrent un monde si vaste. L'imagination, débordante, qui crée des vies, les emmêlent, les démêlent, puise son inspiration dans la réalité pour repartir de plus belle. Et toi, vagabond dans mes rêves. Puis ta voix, qui s'élève, fatidique, comme une lame qui s'apprête à trancher ma gorge. La menace du doute qui meurt. Et de la vérité qui s'avance.

Je ne sais plus si je veux savoir. Le doute me maintiens au moins dans l'espoir. Mon esprit divague, à l'idée que tu dises oui, un petit oui, même hésitant ou timide. Les liens se défont, l'imagination galope, les rêves fusent, tout fusionne, j'envisage toutes les vies, les scènes qu'apporteraient ce petit oui. Toutes celles que tu pourrais détruire aussi. Balayées, en un mot, une décision, que tu prends seul.

Dis-moi, est ce que tu m'aimes?

Dans le passé

Dans le passé. Dans mes mains, qui tiennent des restants de vie, tout ce qu'il reste du temps qui s'est enfui. Des images prises entre deux souffles, entre deux vies. Des fractions de secondes, des instants d'infini, un moment volé. Un moment qui ne reviendra jamais, un baiser, le premier ou le dernier, un de ceux dont on ne se souvient même pas, et qui pourtant nous rappelle. Nous rappelle tant de choses, la jeunesse, les amis, les souvenirs et les oublis. Des sourires, figés, à tout jamais, dans le papier froid et brillant. Et les pensées, cachées derrières, dissimulées, mais que l'on peut encore imaginer. Un visage, inconnu mais que l'on devine, parmi tout ceux qui sont passés et puis partis, toutes celles qui hantent le fond de nos esprits. La nostalgie du temps qui file, de ces endroits à revoir, de cette vie à revivre. Cent fois, mille fois, ou au moins une. Pour être sûrs, certains de se souvenir, de graver dans nos mémoires ce que l'on ne peut plus que graver dans nos yeux. On pense garder une trace de tout. Pourtant on n'oublie que le bonheur.

Battement

Les ombres et le blanc. Le blanc des draps, des murs qui m’entourent. Le blanc de ma peau, sûrement de mon visage aussi. La lumière de la Lune, qui perce la nuit noire et traverse les fins rideaux de la chambre. Le vide oppressant du silence autour. La sensation de n’être rien, d’avoir enfin compris la futilité d’une vie, tout en sentant pour la première fois le sang affluer dans mes veines. Le temps ne s’écoule plus, mon cœur bat faiblement mais régulièrement. Des petits coups, imperceptibles, qui pourtant m’arrachent la poitrine. J’écoute, je sens, je vis chaque battement. Ma respiration suit ce rythme infini.

Mes yeux se ferment. Je vois les couleurs fluorescentes, si agressives, je préfère la pâleur de ma discrète lumière. Je sens de nouveau les vibrations de la voiture sous mes jambes. Je regarde la route qui défile à une vitesse incroyable. Les phares éclairent les arbres sur les bords, l’instant d’une seconde. Ma main posée sur la tienne. Puis une immense lumière m’éblouit, tout s’accélère, la voiture d’en face ne s’arrêtera pas. Mes pensées ralentissent. J’aimerais tourner les yeux à cet instant. Te regarder, parce que je sais que nous n’en avons pas eu le temps. Te dire adieu, te murmurer un au revoir à l’oreille. Tout te dire, n’importe quoi. Le choc est indescriptible, je n’ai pas le temps de crier, ma voix est coupée, le monde se renverse, la vie vole en éclat.

Je me réveille ici. La mort rôde dans le silence de la pièce. Quelqu’un entre. Ce n’est pas toi. Il me prend dans ses bras. M’enlace sans oser me serrer, par peur de me briser. Mes yeux se vident de l’espoir que ce soit toi. Il s’assoit à coté, tout près. Me caresse les cheveux, les bras. Avec sa douceur. Il s’en veut de ne pas m’avoir protégée. Je lui en veux, j’en veux au monde entier de ne pas t’avoir protégé toi. Les battements ralentissent, se font de plus en plus discrets. Je les sens toujours. Pas lui, je le sens se tendre. Je lève les yeux, les plongent dans les siens. Ces yeux auxquels je n’ai jamais su mentir. J’aurais aimé commencé à ce moment-là. Pour pas qu’il n’ait peur comme moi. Il sait. Il s’installe encore plus près, me murmure des paroles que je devine dans le silence qui m’enveloppe. Mon souffle attend le prochain battement. Un dernier coup qui ne veut pas battre. Une dernière bouffée d’air qui n’ose pas venir. Battement.

Bijou

Je fixais son corps. À nu devant moi. Elle. Moi. Et son collier. Cette longue et fine chaîne qui tombait en cascade sur ses épaules. Et qui me rappelait tant son histoire. Ou plutôt la notre. Les petits anneaux argentés s’épousaient l’un l’autre, unis à jamais, dans une suite infinie. Tout comme nous. Nos corps et nos esprits entrelacés. À mi chemin du collier, une fleur discrète s’entremêlait avec les anneaux. Me rappelant son jardin privé, son intimité qu’elle me permettait de partager un peu. Et tout au bout de cette chaîne qui ondulait sur sa peau, la petite montre gousset dont la couleur avait été ternie par le temps. Si petite, tremblante au creux de sa poitrine. Mais la minuscule montre n’était pas seule. Un petit animal en était le gardien. Le lézard de fer s’enroulait autour de la montre, comme pour empêcher quiconque de pénétrer à l’intérieur. Je m’identifiais à ce lézard, chargé de la protéger. Une fois j’ai ouvert cette montre, lorsqu’elle m’a offert son cœur. J’y ai trouvé le temps. Arrêté. Sûrement pour me rappeler qu’avec elle j’avais l’infini à vivre.

Brûlant

À la recherche d'un fantasme. L'imagination bloquée par le réalisable, mais les sensations émerveillées qui n'attendent que l'impensable. Dans l'attente d'une idée, un rêve à vivre à deux, un instant insaisissable où le temps s'arrêterait. Le sang battant nos veines, agité du plaisir de braver l'interdit, ou bien juste le silence, la caresse surprenante, le petit détail qui réveillerait nos sens. Une hésitation, une envie enfouie que je n'ose révéler. La tentation, du plaisir encore inconnu de la scène que mon corps imagine.

L'image est noire, l'idée vague, mes yeux sont aveugles. La lumière traverse mes paupières, crépuscule ou tamisée? Odeurs envoûtantes, de parfum et d'encens, l'envie languissante d'un baiser. La chaleur, rampant sur les méandres de mon corps nu qui tremble. Soudain, un frisson dans l'air brûlant, une présence pénètre en silence cet éden secret. Puis ta peau, douce, soyeuse, glisse sur la mienne. Je rentre en transe. L'attente, l'éveil de mes sens, tandis que je ne vois rien. Je m'abandonne, au goût parfumé de tes lèvres, aux longues caresses, au brasier ardent de notre amour.

L'homme qui ne voulait pas rêver

Quel est ton rêve?
On me l'a souvent demandé.
C'est une question sans réponse, je ne veux plus rêver.
Quel est ton rêve?
Inutile d'insister, je me contente de la réalité.
Par peur d'être déçu, par peur de retomber.
Quel est ton rêve?
Tu me rétorque que rêver fait partie de notre réalité,
Mais moi je préfère voir qu'imaginer.
Quel est ton rêve?
Je ne veux pas créer un rêve pour le perdre,
Pourtant tu penses que l'inventer c'est déjà bien assez.
Quel est ton rêve?
Quand j'en aurais un je te le dirais.
Quel est ton rêve?
Celui qui construit ma réalité.
Quel est ton rêve?
Celui que la réalité peut détruire.
Quel est ton rêve?
Celui qui vaut la peine d'être rêvé.

Au creux de ma guerre

Accepter la défaite.
Agiter le drapeau, déposer ce qu'il reste des armes.
Baisser les bras sans y être forcée,
Se laisser tomber plus bas que jamais.

Seule.
Dans le plus obscur des noirs.
Se noyer dans un océan de douleur.
Dans l'ombre, les ennemis se multiplient.

Tapis, les regrets et les remords.
Enfouis, l'avenir et les rêves.
Le temps n'existe plus.
Rien ne s'efface; la peur rôde.

Se relever, dix fois, cent fois
Devoir reculer, tant de pas en arrière.
S'effondrer, chercher un appui pour continuer
À tâtons; sacrifier ce que l'on a de volonté.

Debout.
Face à un champs de bataille désolé,
Emprisonnée dans un corps ravagé.
Ouvrir les yeux, voir le chemin parcouru.

Et ce qu'il reste encore à surmonter.
Les épreuves que l'on s'imposera.
Les erreurs que l'on refera mille fois.
Accepter la défaite.

Mais marcher vers la suivante.

Innombrables

Il y a celles que l'on offre avec le sourire,
juste pour la pensée, le plaisir.
Celles auxquelles on arrache la vie,
innocemment en été.

Il y a celles qui absorbent nos larmes,
qui disent adieu ou au revoir,
lorsque les mots sont inutiles,
et l'émotion trop subtile.

Il y a celles que l'on ne voit qu'en rêve,
qu'on voudrait recevoir mais qui ne viennent jamais.
Celles qui porteraient un je t'aime,
la douceur et la tendresse.

Il y a celles que l'on observe émerveillé,
tâches de couleurs qui parsèment nos pensées,
messages cachés qui restent à décrypter
pour en percer les secrets.

Mais il y a surtout celles qui meublent le silence,
celles qui à elles seules comblent l'absence,
celles auxquelles on offre tout les sens,
pour s'imaginer un monde nouveau.

La source

Toute chose, tout être
Qui d'une passion est né
Qui s'est vu confiée la vie
Sans l'avoir choisi
Qui a vu le monde
D'un regard innocent
Qui a entendu la nature agonisante
En un cri perçant
Qui a été aimé du début à la fin
Qui a trouvé sa voie
Tout au long du chemin
Qui a su en une vie
Apprivoiser le destin
Provient au fond, comme chacun
De sa source, à laquelle il revient
-sans fin-

Trouble (Pillow)

Je ne veux pas, plus m'en souvenir
Cacher la douleur, déguiser le pire,
Porter un masque d'innocence
Se voiler dans une maudite espérance.

Ces souvenirs qui me hantent,
Images fragiles et tremblantes,
Cruels cauchemars d'une autre vie,
Sons et couleurs tombés dans l'oubli.

Mémoire estompée, pas effacée,
Traces douloureuses d'un sombre passé,
Tâches noirs qui marquent ma peau,
Sanglants frissons parcourant mon dos.

Tout, je veux tout brûler en rêve,
Aux souvenirs demander une trêve.
Retrouver la paix de l'insouciance,
Soigner ces plaies, saisir une dernière chance.