lundi 30 août 2010

Je n'en reviens toujours pas

- Ma plus belle conquête... Ha si, si, je te l'assure. Bien mieux que la blonde de la dernière fois. Comment ça laquelle? Bah celle qui nous regardait bizarrement dès qu'on est arrivés à la soirée jeudi. Tu vois que tu t'en souviens. C'est pas possible d'oublier une fille si gênante. Enfin, tout ça pour dire, que celle là était carrément mieux. Un canon. Je l'ai croisée dans la rue en allant chez Mathias. Elle marchait en roulant des hanches, un peu vulgaire mais pas trop, en claquant le sol d'un pas décidé, bien rythmé. Rien que de dos, sa démarche était sensuelle, t'aurais du voir ça mon gars. Toute moulée dans son jean qui lui faisait un cul d'enfer. Et puis elle avait des longs cheveux noirs qui tombaient dans son dos, genre cascade, j'avais juste envie de glisser mes doigts dedans.
Jusque là, ça va, des nanas comme ça, on en voit défiler hein? On en a vu pas mal même... Mais là. Elle s'est retournée, et, waouh. J'étais sous le choc, la mâchoire par terre. Super belle. Un visage d'ange, mais un peu vicieux quand même, tu vois le genre. Des petits yeux charmeurs, gris bleus, sous des sourcils noirs bien dessinés. Maquillée discrètement, mais assez visible quand même, je l'ai vue de face pas longtemps hein, donc bon... Clairement la fille qui veut attirer l'attention.
Qu'est ce qu'elle portait? Bah, je t'ai dit, un jean. En haut? Je sais plus. Ha, ouais, si. Un tee-shirt blanc. Je m'en souviens parce que ça se tâche vachement ces trucs là. Si, j'ai fait gaffe, mais voilà quoi... j'y peux rien aussi. Laisse moi finir d'abord. J'en étais où? Ouais, donc elle se retourne, je tombe sous le charme, et je me dis « Celle-là, tu peux pas la laisser filer ». Donc je me passe vite fait la main dans les cheveux, histoire de bien jouer la présentation, et je l'aborde. Comme d'habitude, la nana super méfiante, qui te réponds par « oui, non ». Je m'entête, je lui cause un peu, elle finit par se lâcher un peu. Je fais un bout de chemin avec elle, puis elle rentre dans un bar rejoindre des copines. Moi, qu'est ce que je fais? Je la laisse, je vais faire un petit tour à l'appart, genre mettre un peu d'ordre hein. Faut ce qu'il faut. Puis je retourne au bar.
Je m'assois près d'elle, elle me reconnaît, on passe un peu de temps avec ces copines, une bonne soirée quoi. Et pendant ce temps là nos mains commencent à se balader... J'adore ce moment. Elle était un peu tendue, comme à chaque fois avec les filles. Elle était pas trop câline quoi. Les copines voient qu'il y se passe quelque chose mais bon, elles ont bien vu que j'étais cool. L'heure avance, je lui propose de rentrer chez moi.
Non justement, elle a pas dit oui, ça m'a bien fais chier. Ha si, j'ai insisté, mais la meuf elle voulait vraiment pas, selon une question de principe et je ne sais quelle autre connerie. Mais je te jure, entêtée la fille, parce que moi, j'ai continué à proposer, je l'ai pas harcelée hein, mais j'ai bien sous entendu tout ce qu'il y avait à sous entendre. Quoique moi, je fais pas dans la dentelle, mais j'étais vraiment déçu là, tu comprends.
Et bah oui, qu'est ce que tu voulais que je fasse? Les copines rentraient aussi, alors je lui ai proposé de la ramener au moins. Ça elle a accepté évidemment. C'est quand même mieux de pas rentrer seule. Surtout à son âge. Je lui demande de m'expliquer où elle habite, et coup de bol, c'est pas loin de chez moi. Alors moi, je suis malin, je nous fais passer par ma rue, et une fois devant ma porte, je lui propose encore une fois de monter. Bien sûr qu'elle a encore dis non, t'as toujours rien compris toi. Je lui dis que je vais juste prendre une veste, parce que je veux bien la ramener, mais me les peler, non. Et là, elle se décide à m'accompagner dans les escaliers.
Comme tu dis, c'était tout bon. On monte, j'ouvre la porte, elle m'attends sur le palier. Alors moi, d'un coup, j'ai une super envie qui monte, je la tire vers moi, et je commence à l'embrasser. La nana emballait comme une déesse. Et ça avait l'air de lui plaire. Je ferme la porte, et je la plaque contre, ça devenait chaud, je la caresse et tout. Elle faisait des petits cris comme ça, c'était hyper excitant. Puis je l'ai prise dans mes bras et j'ai voulu la porter dans le canapé, mais elle arrêtait pas de gesticuler, un peu galère, donc on est tombés entre le fauteuil et la table, moi allongé sur elle. Évidemment il a fallu qu'elle se tape la tête contre le coin de la table, je crois qu'elle saignait mais bon, on a continué, il y en avait juste un peu sur son tee-shirt. Je commence à la déshabiller, j'ai eu du mal avec le jean alors au final je l'ai juste ouvert.
Putain gars. J'ai tiré un des meilleurs coups de ma vie. La fille était trop chaude, j'avais ses ongles dans mon dos, et moi je la tenais super fort, c'était dingue. J'avais mes mains agrippées à ses cheveux. Elle s'est même mise à pleurer tellement c'était fou pour elle aussi, t'imagines? Si, si, elle chialait, mais genre de plaisir quoi. J'ai pas trop duré n'empêche, mais j'étais mort après ça. Je me suis retiré et je me suis affalé sur le canapé. Je crois que je me suis plus ou moins endormi directement, parce que quand j'ai rouvert les yeux, la fille avait filé.
Ha si, j'avais la haine de pas avoir récupéré son numéro... je te l'aurais passé vieux. Comment ça tu me crois pas? Bien sûr que ça c'est vraiment passé. Mais je te dis, beaucoup mieux que la blonde.

- Je venais de partir de chez moi pour rejoindre Marina, Juliette et Camille au café où on se retrouve le soir en week-end. Juliette emprunte le même chemin que moi donc je vérifiais que je la voyais pas. Je me suis retournée deux trois fois, puis à un moment j'ai remarqué ce gars. Il était beaucoup plus vieux que moi oui. Quel âge? Trente ans peut-être, je ne sais pas. Il était en train de me mater, mais bon, ça me dérangeait pas trop. Par contre après il a accéléré son pas pour venir me parler. Je déteste ça. Je le connais pas moi ce mec, ils sont tous pareils, ils te collent, te font des compliments idiots et s'attendent à ce que tu tombes sous le charme. Bon ça va, lui il était gentil, pas lourd, donc j'ai commencé à discuter un peu avec lui.
Quand je suis arrivée au café je l'ai complètement oublié, j'ai retrouvé les filles, on a bu quelques verres, mais rien de bien méchant, j'étais parfaitement lucide. Il devait être aux alentours de onze heures quand il est revenu. En l'apercevant je me suis dis qu'il entrait là par hasard mais en fait pas du tout, il est tout de suite venu vers nous. Je l'ai reconnu, on s'est présentés, il s'est assis avec nous. Du coup on a pas mal parlé, il était sympa, très drôle.
Camille me faisait des clins d'œil, comme si je n'avais pas remarqué que le gars n'arrêtait pas de me draguer. C'était plutôt agréable. Au bout d'un moment il a commencé à me caresser la jambe, discrètement, sous la table. J'ai rien dit mais j'aimais pas trop, il a dû sentir que j'étais tendue mais il n'a pas arrêté. Finalement je me suis laissée faire, c'était pas méchant, et je ne savais pas vraiment quoi lui dire.
Il commençait à être tard, aux alentours de une heure du matin, quand on a voulu partir. Les trois n'habite pas du tout mon quartier, elles partaient prendre le dernier métro. Le mec m'a proposé de dormir chez lui mais j'ai refusé, je le connaissais pas, et je n'avais aucune envie d'aller chez lui. Il a beaucoup insisté, je refusais sèchement, clairement, mais il n'en démordait pas. Pour qu'il arrête j'ai accepté qu'il me raccompagne. Je vis chez mes parents donc je pouvais être tranquille. Il a eu l'air surpris et content quand je lui ai expliqué où j'habitais. J'ai compris que c'est parce que le trajet nous faisait passer devant chez lui. Il s'est arrêter devant la porte de l'immeuble et m'a demandé de l'attendre pendant qu'il allait prendre une veste dans son appartement. La rue était déserte, j'ai préféré monter l'attendre dans les escaliers. Il est rentré pendant que moi j'attendais sur le palier. On était au premier étage, oui. J'étais en train d'observer le peu que je voyais de l'intérieur quand tout à coup il m'a attrapée et collée contre lui.
J'ai même pas eu le temps de réaliser qu'il m'embrassait avant qu'il ne me plaque violemment contre la porte qu'il a claquée dans mon dos. J'ai commencé à hurler aussi fort que je pouvais, mais il avait sa bouche clouée sur la mienne, et sa main me tenait fermement le cou. C'est ce qui a fait les marques rouges là dans la nuque. Ensuite? Il m'a soulevée comme si je ne pesais rien, alors là je me suis débattue, j'ai essayé de le frapper, je donnais des coups de pieds qui n'atteignait que l'air. J'ai quand même réussi à le déséquilibrer, et on est tombés par terre. Ma tête a heurté le coin de la table basse en verre, ça saignait beaucoup, je voyais des grosses tâches de sang sur mon tee-shirt blanc. Le coup m'a envoyée dans les vapes, je comprenais plus ce qu'il se passait, et en même temps je le savais très bien. Non, moi je ne suis pas sûre que c'était sans doute mieux.
Je l'ai senti en moi, j'avais mal et je sentais quand même ces putains de vagues de plaisir, comment est ce que c'est même possible? Et je faisais tout pour qu'il me lâche, je lui ai arraché le dos avec mon ongles, il sentait rien, et j'arrivais pas à bouger, et les images étaient floues, et je pleurais parce que je n'avais rien d'autre à faire. J'avais l'impression que tout le bas de mon ventre remontait dans mon torse, j'étouffais à l'intérieur et je ne respirais plus. Ça tirait, ça arrachait, j'avais mal, je voulais hurler mais il avait une main sur ma bouche. Avec l'autre il me tenait par les cheveux, il me les arrachait tellement il tirait.
Puis il m'a lâchée. J'ai pas senti tout de suite, j'avais trop mal. Je me suis rendue compte que son poids ne m'écrasait plus la poitrine. J'ai levé les yeux, il était étalé, sur le fauteuil, comme si rien ne s'était passé. J'aurais dû le tuer putain. J'aurais dû le tuer. Mais la première chose que j'ai pu faire c'est partir en courant.

En moyenne dans le monde, près d’une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de son existence.

jeudi 26 août 2010

Bercement chaotique

Et le train craque, s'ébranle
Agite une tempête de mécanique
Fends avec fracas l'air chaud
La bourrasque claque à la fenêtre mi-close
Gifle les visages mornes, crispés,
Vagues, aux pensées bruyantes
Et l'on s'observe sans se regarder
Du coin de l'œil.

Et le train glisse, tangue
Ignore les noms, les quais
Fuie en vitesse les paysages figés
Les yeux se perdent, en attente
Tumultueux silence d'hésitation
Visages tordus vers la lumière
Et les montres vont aussi vite que le train
Le temps vole.

Et le train crisse, s'irrite
Brise les sons réguliers
Arrache la Terre, s'agrippe
Le vent siffle, se fait brise
Un corps instable se lève, s'agite,
Imité par une foule un peu perdue
Les chuchotements s'élèvent du silence
Et l'on s'entasse derrière les portes
Impatients.

Et le train s'arrête, soupire.

Tout va bien, les étoiles brillent

La Terre trembla en pleine nuit, ce n’était plus des frissons qui la parcouraient, mais des spasmes violents. La planète se secouait avec fureur, détruisant tout ce qu’elle portait. Comme si la fin du monde était arrivée, les montagnes semblaient se tordre de douleurs et les rivières se déchaînaient. L’apocalypse dura plusieurs minutes, interminables pour les Hommes, impuissants face à la colère de la nature.

J’arrivai dans le village avec toute mon équipe. L'ensemble de ma petite caserne de campagne avait été dépêchée sur les lieux. Nous arrivâmes à pied, car la route avait été éventrée par les secousses. J’avais ordonné à mes coéquipiers de prendre le plus de matériel possible, mais il nous manquait beaucoup.
Le spectacle de désolation auquel nous faisions face nous figea quelques instants sur place. On aurait dit que des bombes étaient tombées à cet endroit. De part et d’autres de ce qu’avait dû être la rue principale du village se trouvaient des ruines de maison, devenues des amoncellements de pierres et de bois. Des gens couraient dans tous les sens, désespérés, paniqués, comme des bêtes sauvages. Certains étaient blessés, le sang coulait. Je repris mes esprits et me tournais vers mes collègues, tous aussi choqués que moi par cette vision d’horreur. Je parvins à murmurer :
« - Nous avons deux heures avant l’arrivée des autres équipes de secours  D’ici là, nous ferons notre travail du mieux que nous le pourrons»

J'eus beaucoup de mal à ouvrir les yeux. La poussière s’infiltrait sous mes paupières, m’obligeant à les refermer rapidement. Je tentai calmement de les rouvrir. Tout était sombre. Le noir complet. Je voulus bouger la tête, mais je ne pouvais pas. J'essayai alors de remuer le reste de mon corps, mais je ne réussis à libérer que ma main droite. Qu’est ce qui s’était passé ? Où étais-je ? Je me remémorai doucement les événements. Maman me réveillant en hurlant, le sol qui tremblait. Luca. Puis plus rien. Brusquement je compris. La maison n’avait pas tenu le choc, j’étais coincée sous les gravats. Coincée, mais vivante. Jusqu’à quand ?

Je dégageais le corps froid d’une vielle femme de sous les décombres. Les émotions avaient fuit mon corps. Ce que je voyais et accomplissait depuis notre arrivée m’avait plongé dans un état second où la peur, l’horreur et le dégoût ne me touchaient plus. Les cris autour de moi ne me parvenaient pas. Sauf celui de Carlo.
- Fabio ! Il faut que tu viennes ! On a trouvé une fille ! Sous les ruines de sa maison, elle est coincée mais vivante !
Une miraculée ? Je me redressai et me lançai à la poursuite de mon coéquipier qui m’emmena en courant sur les lieux tout en m’expliquant la situation.

Des voix répondirent à mes cris. J’entendais les pierres s'entrechoquer au-dessus de moi. Soudain, une nouvelle voix s'ajouta à la cohue que je ne pouvais voir.
- Stop ! Arrêtez ! Vous risquez de provoquer un éboulement !
Je frémis de peur. Apparemment, j’avais de nouveau frôlé la mort. La voix se fit entendre, très proche :
- Comment s’appelle-t-elle?
Je hurlais en réponse :
- Lucia ! Je m’appelle Lucia !
- Lucia ? Ok, est-ce que tu m’entends ? Alors écoute- moi bien.

Le visage collé contre les pierres, j’expliquai à la jeune fille comment nous allions procéder. Puis je lui demandai comment elle se sentait. Pendant ce temps-là, quelques membres de mon équipe me rejoignirent, écartant la foule des curieux. En me relevant, je trébuchais sur une pierre, que, de rage, je balançais quelques mètres plus loin.

La lumière envahit l’espace. Je du fermer les yeux, tant j’étais éblouie. Un gémissement m’échappa.
- Fabio, appela quelqu’un, elle est là !
J’entendis des murmures au-dessus de ma tête. Intriguée, je parvins tant bien que mal à ouvrir les yeux. Il me fallut quelques secondes pour m’habituer à la lumière environnante. Un mètre plus haut me faisait face tout un rassemblement de visages, qui m’observaient avec curiosité.
- Poussez-vous ! gronda la voix qui m’avait parlé plus tôt.
Le visage du pompier m’apparut, ce visage auquel je confiais ma vie.

Il nous fallut plusieurs heures pour dessiner le schéma des gravas que nous devions dégager. La nuit était tombée depuis peu. Nous nous rendîmes compte rapidement qu’il nous fallait l’aide de Lucia. Grâce à son bras libre, on avait pu lui passer de l’eau, et l’ouverture lui apportait tout l’air nécessaire. Je me dirigeais vers l’endroit où elle était coincée, avec le schéma dans les mains. Je lui expliquais brièvement ce que j’attendais d’elle.

Je parvenais maintenant à bouger légèrement la tête. Le dégagement de la pierre qui me bouchait la vue ayant provoqué un déplacement des autres, me permettant quelques mouvements. Ainsi, quand Fabio me demanda ce que je voyais à ma gauche, je tournais la tête péniblement. Je hurlais. À quelques centimètres seulement de moi se trouvait Luca.

Son cri me déchira le cœur, et le regard qu’elle me donna quelques secondes plus tard le glaça. Elle ne parvenait apparemment plus à parler. Je pris ma lampe de poche et en faufilant mon bras par la fine ouverture, j’éclairai le côté de Lucia. Là, gisait un jeune garçon. Le faisceau de ma lampe lui fit ouvrir les yeux, et Lucia laissa échapper un cri de joie.

Luca était vivant. En piteux état certes, mais nous allions nous en sortir ensemble.
- Lucia, on est où ? demanda le garçon, paniqué
- Ne t’inquiète pas, tout va bien. On est coincé sous un éboulement. Mais les pompiers sont là.
- Lucia, demande-lui s’il peut bouger et s’il est blessé.
Le rayon de lumière frappait toujours l’enfant de plein fouet.

L’apparition de ce deuxième rescapé nous obligeait à revoir tous nos plans. Cela prendrait du temps, temps que nous n’avions pas. Je pris ma tête dans mes mains. Comment allions-nous faire ?

Le sauveteur, Fabio, m’avait expliqué que mon cousin semblait être dans un état critique, et qu’il fallait que je l’empêche de s’évanouir. Je devais lui parler pour le maintenir éveillé et donc en vie. De là où il se trouvait, il ne pouvait pas voir à l’extérieur par le petit espace.
- Le ciel est plein d’étoiles ce soir. Elles brillent. Tu te rappelles, Luca, que quand tu étais petit, tu croyais que c’était toutes des fées ? Tu me disais « Regarde Lucia, regarde comme elles sont belles ces petites fées ».
- J’étais bête petit.
- Mais non, tu étais jeune, c’est tout. Tu savais que le temps que leur lumière nous parviennent, certaines étoiles sont déjà mortes ?
Je réfléchis quelques instants. Comment une étoile pouvait-elle mourir si sa lumière était encore là ? Au fond, les étoiles n'étaient pas éternelles, juste un peu plus que les Hommes.
- Ce soir, elles sont magnifiques, toutes, elles brillent rien que pour nous. Elles nous envoient toutes leur lumière pour pas que nous ayons peur. Tant qu’elles seront là, tout ira bien. Elles veillent sur nous.

Toute la nuit, Lucia parla à son cousin. Le petit Luca avait seulement quatre ans, il était encore plus dangereusement situé sous l’éboulement et la moindre fausse manœuvre de notre part lui serait fatale. Le jour se leva vers six heures, et je fis signe à mon équipe qu'il était temps de commencer à dégager les deux enfants. Nous avions estimé que cela nous prendrait sûrement une journée entière, mais nous fîmes face à de nombreux problèmes. Il suffisait d’une poutre mal placée en travers de notre chemin pour tout recommencer à zéro. Vers midi, quand la chaleur était à son comble, nous continuâmes à creuser, au ralentit, tant l’effort à fournir était difficile.
Lucia, elle, parlait toujours.

Le ciel était passé par toutes les couleurs, comme pour me donner quelque chose à décrire. Rose teinté de vert et jaune à son levé, et maintenant bleu comme l’eau. De grands nuages blancs flottaient sur cet océan calme.
- Quand on sera sortis, je t’emmènerais à la mer, et l’on cherchera des étoiles de mer.
- Il y a des étoiles dans l’eau ? articula avec difficulté le petit garçon
- Oui, évidemment. Ce sont toutes les étoiles du ciel, qui, après nous avoir éclairés durant des siècles, tombent dans les océans. C’est là, que tapies sur le sable au fond des mers, elles profitent d’un repos bien mérité.
L’été passé, j’avais été à la mer avec mes parents. Mes parents. Où étaient-t-ils ? Le sauveteur ne m’en avait pas parlé. Ils dormaient dans la chambre en dessous de la nôtre. Je me souvenais de ma mère paniquée. Peut-être avaient-ils eut le temps de sortir avant que la maison ne s’effondre ? Oui, sûrement. Mais, et si ? Si, comme nous, ils avaient été surpris trop tard? Sans que je puisse y faire quoi que ce soit, je me mis à pleurer.

On eut beaucoup de mal à calmer Lucia. Je ne savais rien de ses parents, en tout cas personne ne les avait trouvés dans le groupe de survivants. Je ne voulais pas y penser. Tout ce qui comptait à présent, c’était de sortir ces enfants des entrailles de la terre. Je devais les sauver.
La panique qui avait explosé en Lucia me rattrapa également. Je n’étais plus sûr de rien. La journée s’était écoulée, emportant avec elle nos forces et le courage de la petite fille. Elle n’avait pas cessé de parler à son cousin, mais tous deux faiblissaient à vue d’œil. Nous savions que pour les sortir tous deux vivants de cet enfer, il nous aurait fallu un miracle.

J’interrompis mon récit. Je venais à peine de me rendre compte que je n’entendais plus un bruit du côté de mon cousin. Sa respiration calme et mesurée ne chatouillait plus mon oreille.
- Arrêtez un instant ! criais-je aux sauveteurs
Surpris, l’équipe de pompiers qui s’affairaient dans le crépuscule m’obéirent. Leur chef s’approcha en silence de la fine ouverture. Je tendis l’oreille.
- Qu’est ce qu’il se passe Lucia ?
- Il ne respire plus ! murmurais-je, comme effrayée par mes propres paroles.

Il fallait agir vite. Si le garçon était juste évanoui, la seule chance pour lui de s’en tirer indemne était de sortir rapidement, ou cet éboulement serait son tombeau. Mais tenter de les extraire plus vite que prévu pouvait au contraire avoir des conséquences irréversibles en cas d'erreur. On ne pouvait pas non plus exclure l’hypothèse que le jeune garçon avait d’ores et déjà quitté ce monde. Manuel s’approcha de moi.
- Fabio, les ruines sont en déséquilibre depuis qu’on a commencé à creuser. Il est plus que probable qu’elles ne tiennent plus que quelques heures. Sortir la fille pourrait prendre peu de temps si on suivait notre premier plan.
Nous savions tous deux ce que l’application du premier plan avait pour conséquence.
- Il est mal situé. C’est elle ou la mort assuré pour tout les deux.
Je ne le savais que trop bien. Mais avais-je le droit de choisir de sacrifier une vie ? Je levais les yeux au ciel. La nuit tombait.

Ne plus rien voir. Le sauveteur m’expliqua que pour nous sauver rapidement il fallait qu’ils replacent une plaque au-dessus de mon visage. Je ne pourrais voir le ciel, mais cela ne durerait qu’une quinzaine de minutes.

On prenait le risque qu’elle ne reçoive plus d’air. Mais c’était la seule solution.

Je regardais le pompier dans les yeux et ce que j’y vis me donna du courage. Il voulait me sortir de là, et il le ferait. Je devais lui faire confiance. J’ai acquiescé d’un signe de tête. J’avais la gorge nouée. Je regardais une dernière fois le ciel étoilé, avant qu’une large pierre ne me bloque la vue.

Dès que la pierre fut mise en place, nous commençâmes la manœuvre, dans un silence insoutenable. Toute l’équipe savait que nous jouions notre dernière carte, et tous étaient parfaitement conscients de la mort assurée du garçon.

Mes yeux s’habituèrent au noir. Au-dessus de moi, les voix s’agitaient, les décombres tremblaient. Je tournais la tête vers mon cousin toujours inerte.
- On va s’en sortir Luca, c’est bientôt fini.
J’espérais une réaction, quelconque, mais le petit corps ne bougea pas.

Les masses réparties sur le corps de Lucia avait été décentralisées, ce qui devait nous permettre de la tirer hors des ruines. C’était le moment critique.
- Lucia, appelais-je
- Oui ?
- Écoute- moi bien. Tu as été très courageuse jusqu’à maintenant, et tu es bientôt tirée d’affaire. On va te sortir par un espace que l’on va dégager près de ta tête. Il faudra faire très vite parce que tout l’éboulement se trouvera en déséquilibre.
- Et Luca ?
Je ne pouvais pas lui répondre.

Pourquoi ne disait-il rien ?

Comment le lui dire ? Comment lui dire que pour qu’elle vive nous avions décidé de brûler nos espoirs que Luca soit encore en vie ?
- Lucia, il faut que tu comprennes que ton cousin est sûrement déjà parti.
- Mais non ! Non ! Il est là, il est juste évanoui ! Je vais le prendre avec moi en sortant !
- On a tout essayé, c’est la seule chance pour toi de sortir vivante, et je ne te laisserais pas la gâcher.

Je ne pouvais pas voir le pompier, j’étais toujours plongée dans l’obscurité. Jamais je n'aurais pu abandonner Luca. Il n’était pas mort ! Je le savais ! Comment lui faire comprendre ? Je me mis à hurler.

Elle n'arrêta pas de crier le prénom de son cousin pendant toute l’intervention. D’un regard, Manuel m’avait fait comprendre que nous ne pouvions plus attendre. Nous avons fini de dégager l’ouverture. Elle était comme folle. Il nous fallut être à trois pour la tirer de là tant elle se débattait. Son corps faible et frêle luttait avec désespoir. Elle mordait nos mains. Manuel dû l’assommer légèrement d’un coup sur la tête. Nous la sortîmes par l’ouverture, cette bouche béante que nous avions créée dans cet enfer. Quand ses genoux furent sur le point de quitter les décombres, je la laissais aux autres et me précipitais vers l’ouverture. Peut-être était-il encore temps. Oui, je pourrais sûrement le sortir. Au moment où mes yeux tombèrent sur ceux, clos, du garçon, l’amas de pierres et de gravats trembla. Je vis une poutre s’abattre sur le corps, suivie d’une pluie de cailloux. Une main me tira en arrière.

Quand j’ouvris les yeux, ce fut pour apercevoir le pompier projeté violemment en arrière par son coéquipier. Il y eut un éboulement infini de briques et de bois. Luca… Je n’avais plus la force. Je sentis qu’on m’allongeait. Je respirais à l’air libre. Au-dessus de moi, le ciel, sombre, noir comme l’ébène.

Cette nuit resta gravée dans ma mémoire. Je savais que je n’oublierais jamais. Cette nuit-là, il n’y avait pas d’étoiles.