jeudi 16 septembre 2010

Cette nuit j'aurais froid

La voiture blanche aux rayures bleues arriva lentement dans le virage. La lumière des phares me sortit soudainement de mes pensées. Je m'accroupis immédiatement dans la neige, derrière une des voitures garées dans la rue, blottie contre mon sac, la tête rentrée dans les genoux. Malgré mon court temps de réaction, les occupants du véhicules avaient dû m'apercevoir, puisqu'ils suivirent la route au ralentit. Comme s'ils avaient pu l'entendre, je bloquai ma respiration. Je vis la lumière bleue du gyrophare balayer les maisons riveraines. Dans un spectacle interminable, les ombres des voitures immobiles se découpaient sur les murs. Je me fis plus petite encore, recroquevillée contre l'acier froid de la portière qui me dissimulait. Ou du moins j'espérais qu'elle le faisait. Les policiers arrivèrent enfin à mon niveau, et pendant des secondes qui me parurent être des heures, les reflets bleutés dans les vitres dessinèrent des motifs étranges sur mon corps. Puis le noir revint.
J'attendis quelques secondes puis me remit en marche, d'un pas rapide, nerveux, regardant sans arrêt autour de moi. Les rues étaient maintenant désertes. Peu de monde s'aventure en pleine nuit dans les dédales d'une ville. J'avais marché longtemps déjà, plus d'une heure, et je commençais à me réchauffer peu à peu. Mon souffle formait un petit nuage opaque devant ma bouche, et il me vint un sourire, en souvenir de ces moments, petites, où je m'amusais encore de ce phénomène. L'enfance où je riais de tout. Mon sourire s'effaça aussi vite qu'il était venu.
La voiture m'inquiétait, mes parents devaient avoir appeler les secours pour me retrouver. Ils m'avaient sans doute entendue partir, j'avais bien claqué la porte. Je m'étonnai de leur réaction, je ne m'attendais pas à ce qu'ils me cherchent aussi vite. Ils me l'avaient pourtant bien répété, que j'étais insupportable, et sûrement de trop à la maison.
Mes pieds gelaient dans mes minables baskets; la neige n'avait eu besoin que de quelques pas pour les transpercer complètement. Dans mon départ précipité j'avais omis ce détail, et attrapé la première paire de chaussures que j'avais pu trouver. Je ne sentais même plus les bouts de mes doigts de pieds, ni mes mains d'ailleurs, bien qu'elles étaient emmitouflées dans des gants de laine. J'enfonçais mon bonnet sur ma tête, et sortit ces problèmes de ma tête. Tant pis, si c'était le prix à payer, j'aurai froid cette nuit.
La ville m'était hostile, comme inconnue dans le monde étranger de la nuit. Sans lumière ni Lune pour m'éclairer, j'avançais au hasard, sans savoir où j'allais, mais toujours décidée. Quelques fenêtres étaient encore éclairées. Peut-être des soirées, entre amoureux ou entre amis. Des gens insouciants qui ne se préoccupaient pas de l'heure, et profitaient du temps qui filaient dans leurs mains. Tandis qu'il n'avançait plus pour moi. Je pensais à tout, à rien, et mes pas me guidaient dans le labyrinthe des rues. L'entrée du parc m'apparut à l'improviste, comme s'il s'était déplacé pour moi, élisant domicile là où le hasard me menait.
Abasourdie, j'entendis les voix d'enfants qui s'amusaient, j'en vis même quelques un, tels des fantômes, déambulant dans les rues voisines, qui se dirigeaient vers le petit bois sombre. Intriguée, je les suivis dans la pénombre. La grande grille qui empêchait d'habitude tout accès était ouverte, béante, m'invitant à entrer. L'écho des rires me parvenait, vague, et les images floues des enfants de la nuit m'emportaient. Le chemin de terre était dégagé, la neige tassée contre les arbres qui le bordaient. J'arrivais au point central du parc, où les jeux pour les petits étaient installés. Une épaisse couche blanche recouvrait le toboggan et les châteaux miniatures. Les voix s'étaient tues. La Lune avait apparue, délaissée par les nuages pleins de flocons. Sa lumière transparente inondait la scène. Je restai là, immobile, observant cet endroit qui avait bercé mon enfance. Une larme coula puis gela sur ma joue irritée par le froid tandis que les souvenirs me revenaient en mémoire.
Sans savoir ce que je faisais, je grimpai en haut du toboggan, et descendit la pente. Je me retrouvais plongée dans la neige. Toujours dans un état second, je me dégageais. Lentement, je m'assis sur un des bancs qui entourait l'aire de jeux, le regard fixant les constructions abandonnées pour la nuit. Mon esprit divaguait, quittait l'enfance pour retrouver d'autres moments. Les visages défilaient devant mes yeux vides, immobilisés par le froid. Des visages heureux, des grimaces joyeuses perdues dans un fou rire.
Puis toutes ces erreurs, toutes ces personnes que je n'aurais pas dû croiser. Ces gens qui été passés puis repartis, mais qui avaient laissé une douloureuse empreinte dans ma courte vie. Tous ces mots que j'avais dit, blessants, en réponse à la souffrance, à l'incompréhension, aux murs de glaces qui s'élevaient devant moi. Les adultes aux yeux mis-clos, trop vieux pour comprendre, pour voir plus loin. Avec leurs sois-disant expérience qui leur accordait tout sans leur accorder aucun pouvoir. Je me souvins de mes parents, amorphes, noyés dans une routine inlassable, endormis par un monde grisâtre. Un monde où je me sentais à l'étroit, mal installée dans ce froid continu.
Un vent glacé fouetta mon visage, mais je ne bougeai pas, agrippée à mon banc. La colère vint, bouillonna dans tous mon corps sans le réchauffer. Personne n'avait répondu à mes questions. Elles avaient pourtant des réponses. J'en avais découvert par moi même. Mais personne n'avait pris le temps, ce temps si précieux aux adultes, de m'expliquer, d'agrémenter mes rêves. Au contraire, ils me disaient, tous, que les réponses n'existaient pas, que les choses étaient comme elles étaient, qu'il n'y avait rien de plus à savoir que ce que l'on m'apprenait déjà.
J'ai seize ans, aucun avenir, aucun souvenir, juste des rêves mélancoliques qu'il me reste à brûler. Recherchée, comme une criminelle, coupable de ne pas avoir accepté ce que l'on m'offrait. Coupable d'idéaliser un monde que j'avais trop rêvé, d'avoir osé l'imaginer à ma manière, d'avoir tout remis en cause, d'avoir refusé d'apprendre.
Les flocons ne mettraient pas longtemps à recouvrir mon corps. Je me plongerais dans leur froide couverture blanche, le visage pâle comme la mort, et je m'endormirais une dernière fois, perdue à travers mes rêves.

mercredi 15 septembre 2010

Nos silencieux remords

Celui-là.
Le noir?
Oui, le grand, pas celui au milieu. Ou alors...
Oui?
Peut-être celui tout à droite.
Le basané? Vous êtes sûr?
Non. Mais il faut bien un coupable.

Il faut toujours un coupable. Quelqu'un à désigner, au choix parmi la foule, celui là ou un autre. N'importe lequel, il y le choix. En choisir un, le parfait inconnu, au hasard. Pas besoin de réfléchir, ils ont tous quelque chose à se reprocher. Pas nous. Ou en tout cas pas moi.
Et puis s'il y en a qui pleure, qui ont mal, qui souffrent, sur qui pleuvent les injustices. C'est que quelqu'un est coupable, irréfutablement. Je ne sais pas qui, et alors? Moi je sais qu'il y a des victimes. Il ne reste qu'à punir. Il faut bien qu'il y en ai qui paient, pour tous ceux qui ne le font pas, ou pas assez.
L'accusé n'a rien dire, qu'est ce qu'il dirait? Selon eux nous sommes tous innocents. Pourtant le Monde n'est pas parfait et il y a toujours trop de malheureux. Qu'il observe le silence, et qu'il se taise. Sa parole ne compte pas, elle n'a jamais comptée. Il excellera dans le rôle du coupable. Accusé, levez-vous, vous êtes coupable et condamné.
Par qui? Mais il n'y a pas de tribunal. Juste des victimes. Des désespérés, qui n'ont plus rien que la rancœur. Ils ont besoin de quelqu'un pour porter le chapeau, tout ce qui leur arrive ne peut certainement pas être de leur faute. Alors voilà, ils choisissent, n'écoutent pas, n'entendent plus, puis ils condamnent, sans témoin et sans prévenir.
Peut-être le coupable entendra-t-il les silencieux remords de nos verdicts. Mais ils ne seront jamais avoués.
Puis ce sera un autre, et encore un. Les rôles s'inverseront, la victime sera condamnée, l'accusé portera sa peine.
Car nous sommes tous coupables d'être des victimes.

samedi 11 septembre 2010

Ma douce amie

Mon sang se glace, tire et perce mes veines
Qui se tendent pour laisser un peu de place.
Délicieux poison assassin,
Ton goût de mort m'étouffe.
Le corps crispé tandis que le liquide froid
Parcourt lentement mes membres
Á l'agonie.
Ma conscience hésite
Á s'abandonner au risque.
Je panique et me brise,
Désarticulée comme un pantin;
La gorge nouée, une larme
Voile mes yeux perdus dans le vague.
Inévitable souffrance
Que j'aime tant,
Torture qui m'arrache au réel
Je te crains mais je t'adore.

Oh, voici mon Monde qui apparaît!
Je me laisse tomber
Dans ton confortable oubli,
Les sensations légères et frivoles.
Plus d'air, plus de douleur,
Tu m'enfermes dans un noir éblouissant.
Je ne pense pas.
Il n'y a plus rien à penser,
Que l'emprise du silence
Sur mon corps libéré.
Tu me berces et me cajole,
Les yeux tremblent
Sous ta rassurante hypnose.
Fais ce que tu veux
De mes souvenirs, de mon avenir.
Accapare à toi seule
Mon esprit dévasté.
Il est vide, vous attends,
Tes rêves et toi.
Cette lumière discordante
Qui m'aveugle,
Ces bruits qui n'en font pas.
Le temps se hâte, s'agite,
Mais ton règne n'est pas le sien.
Tu me gardes entre deux vies,
Merveilleuse hypocrite!
Car déjà tu m'abandonnes
Aux mains de cet ennemi
Cruel. Je sens ses griffes sur ma peau.
Je sens ma tête exploser
Et mes yeux brûler.
Je sens les contractions affolées
D'un cœur que je ne veux plus,
D'un rythme qui me replonge
Dans le songe cauchemardesque
D'une triste réalité.