jeudi 20 février 2014

Rencontres romancées mais vraies, El Chaltén, Parque Nacional Los Glaciares, Patagonia, Argentina (Patagonie 1)

Première rencontre

C'est sous la neige que je l'ai croisée. Je ne l'ai pas vue avant qu'elle ne soit presque à mes côtés, venant des tumulteux nuages de la tempête.Les flocons fondaient sur son long manteau blanc, ou s'accrochaient pour briller dans ses cheveux noirs. Elle m'a jeté un regard timide, apeuré, un peu amusé, comme celui d'un animal qui vous surprendrait dans sa forêt. Sans le décider vraiment, je me suis arrêté et me suis effacé du chemin pour la laisser passer. Telle une reine, elle m'a frôlé en m'ignorant, peut-être par pudeur. Elle est partie vers ces champs de fleurs jaunes que même la neige ne pouvait pas couvrir. Le vent a emporté sa silhouette, puis balayé les restes de son souvenir. J'ai continué à marcher, sur la neige qui craquait sous mes pieds.

Seconde rencontre

Il marche toujours devant, et elle le suit quelques mètres dèrrière. Même taille, même corpulence, même âge, mais en montagne il lui vole dix ans. Ses vieux pieds boudinés dans les chaussures de randonnée et toujours vêtu de sa fameuse chemise bordeaux, il trotte sur les cailloux. Il savoure la sueur qui lui dégouline sur le front comme une victoire sur l'effort. Loin dérrière, mais jamais trop, elle souffre. Un pied, puis l'autre, et c'est toute la jambe qui prend. Les bourlets des annés passés se balancent; gauche, droite, inlassablement en rythme. Essouflée mais les yeux rivés sur son homme, ce petit tas gris, elle continue d'avancer. De temps en temps, miraculeusement, par pitié selon lui, par añour selon elle, il s'arrête pour l'attendre. La pause l'aide à reprendre son souffle, ils le savent mais ne le disent pas, c'est elle qui doit se contenter d'être à la traîne. Mais elle est d'accord, cette fois aussi. C'est toute une vie qu'elle a passé à le suivre.

Troisième rencontre

Il n'a pas eu le temps, c'est dommage bien sûr, mais son vol repart demain, que vas-t-il faire, perdre ces minutes qu'il n'a pas? Il faut choisir, toujours, chemin de gauche ou chemin de droite? Où sera la meilleure photo? Le soleil est à l'ouest, déjà! Il choisit le glacier. Déceptionm il est moins beau que sur la photo du guide, tant pis, il retouchera ses images, l'iñportant c'est qu'on le voit, lui, là-haut, sur ces montagnes, et quand il rentrera il verra enfin out ce qu'il a photographié ici, les pieds dans ses chaussons et les fesses dans le canapé. Ici, il n'y a pas le temps, il file trop vite, le soleil aussi, il faut rentrer, il faut partir. Quel dommage, il prendra les photos du guide.

Quatrième rencontre

Trente ans il a attendu, sans y penser, sauf lorsqu'il raconte ses fameuses vacances dans les Andes. Ils en avaient fait du chemin, et puis, à l'époque, les sentiers n'étaient pas autant aménagés. Il fallait braver la nature, tout en évitant d'y laisser des traces; tel devrait être le dilemme de tout véritable randonneur. Ils avaient parcouru le parc jusqu'au moindre cailloux, vu chaque buisson, observé toutes ces fleurs introuvables. Et admiré toutes ces montagnes. Elles montent vers ce ciel souvent gris et parfois bleu. Sauf une, le mont Fitz Roy, toujours caché dérrière son paravent de denses nuages. Il les a nargués, jour après jour, ne daignant laisser apercevoir qu'une roche ou un versant. C'est avec un goût amer, rarement avoué, qu'il était rentré. Jusqu'à aujourd'hui, il l'a sentait dans le fond de sa gorge, indigérablem comme un parasite de sa frustration. Cette fois, c'est en famille qu'il a affronté le sentier. Entre sa femme, sa fille et son beau-fils il a rejoint le pied du Mont encore une fois. Il y eut consensus sur la beauté de l'endroit: la lagune turquoise, le glacier, les monts de pierres empilées, mais surtout, le Fitz Roy entièrement dévoilé, trônant dans son décor de ciel bleu. Le goût dans sa gorge s'est adoucit, il l'a avalé sans s'en rendre compte, un sourire brillant dans ses  yeux. 

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