samedi 8 mai 2010

Le silence de nos murmures

C'était un de ces endroits qu'on ne trouve que par hasard, en déambulant sans but dans les rues de New York. Comme un signe passager du destin qu'on aperçoit dans la brume de notre solitude, et qui s'offre a nous dans les moments d'obscurité. Personne ne l'aurait trouvé de jour, de toute façon personne ne le cherchait. C'était un de ces lieux qui vient à vous.
Un vieux bar noctambule, comme les années 50 en avaient vu naître par centaines, blotti aux pieds de grandes tours qui le protégeaient sans le savoir. Pas d'enseigne, panneau, carte, n'indiquait sa présence. Juste une lumière tremblante qui n'éclairait que la porte d'entrée.
Pourtant, rien ni personne ne le cachait.

Il en vécu des choses, il fut même célèbre à un moment. Une époque perdue où les gentlemen s'engouffraient en lui, accompagnés de femmes élégamment vêtues, couvertes de bijoux dans lesquels se reflétaient les lumières tamisées de l'intérieur du bar. Durant des nuits, les musiciens les plus adulés des foules animaient les soirées endiablées des visiteurs. Les plus courageux désertaient les lieux à l'heure où les rayons de l'aube parvenaient à traverser les fenêtres et rideaux.

Vingts années plus tard, le silence envahissait l'unique pièce du bar. La poussière recouvrait le sol en un océan de tristesse. En ouvrant la porte, Laura balaya la poussière sur un quart de cercle, provoquant ainsi une chaîne de vagues sur ce tapis gris et blanc. Un courant d'air s'engouffra à travers la porte grande ouverte et cette fois ce fut un raz de marée de poussière qui fut soulevé. Immobile, Laura faisait face à une pièce pleine de souvenirs qui n'étaient pas les siens. La porte claqua dans son dos, surprenant son corps qui tressailli. Elle fit quelques pas vers le comptoir, sur la droite. Le plancher craquait sous ses pas. Le vent soufflait toujours à travers les vitres brisées.
Le comptoir en bois roux longeait le mur droit de la salle sur presque toute sa longueur. À son extrémité, une scène de planches humides agonisait. Laura n'osa pas poser un pied dessus de peur de passer à travers. Elle fit demi-tour et observa un instant l'entassement de chaises en bois démembrées qui se trouvait là. Quelques tables rondes gisaient à coté. Laura essaya, du bout des doigts, d'attraper une chaise qui avait l'air en assez bon état. Son intrusion déséquilibra l'instable pile de meubles qui s'écroula avec fracas.
L'agent immobilier, surgi de nulle part, se précipita pour l'aider. À eux deux, ils mirent quelques minutes à remettre tout en place. Le gros homme pestiféra tout du long sur les conditions insalubres et dangereuses dans lesquelles il travaillait. Laura ne l'écoutait pas. Si bien que lorsqu'il posa la question fatidique avec une voix vide d''espoir, il ne s'attendait pas même à une réponse de la part de l'inattentive jeune femme. Pourtant, elle se tourna soudainement vers lui, et dans un faible mais ferme murmure, elle répondit « Oui, je le prends ».

Il était précisément vingt et une heure quand la mystérieuse femme entra dans le bar. Toujours emmitouflée dans son long manteau noir qu'elle abandonna au porte-manteau pour laisser apparaitre sa quotidienne robe rouge. Une petite robe moulante au buste, légèrement évasée au niveau des genoux. La couleur vive et profonde du tissu complétait celle de son rouge à lèvre, qui rendait sa bouche si attractive. Ses grands yeux maquillés de noir contrastaient, tout en élegance, avec le rouge qu'elle portait. Tout comme ses longs cheveux foncés, bouclés avec soin et tombant en cascade sur ces épaules nues.
Comme à son habitude, depuis exactement vingt-trois jours, compta Charles, elle s'assit au comptoir, sur l'un des hauts tabourets. Tout en commandant un whisky, elle repassa d'un geste nonchalant les plis inexistants de sa robe. A peine avait-elle poussé la porte du bar que le verre était déjà servi, tout prêt dans la main de Charles. Il n'eut qu'à tendre la main. Elle chuchota un vague « merci » dénué d'attention qui se perdit dans les murmures du bar.
À ses premières visites, Charles espérait un regard puis il accepta finalement le silence et l'inattention de la jeune femme. Il en avait bien l'habitude. En tournant la tête, las d'essuyer des verres, il observa un à un les différents clients du bar. Peut-être espérait-il découvrir un nouveau détail d'eux, quelque chose que ses sens auraient occulté. Mais non. Toujours eux. Toujours les mêmes. Identiques à ce qu'ils étaient la veille. Plongés dans leur silence.

Laura s'était résignée à jeter la plupart des meubles. Si quelques chaises avaient pu être récupérées, elle avait du jeter tables et tabourets. Chaque trajet vers la décharge lui paraissait difficile. Comme si elle arrachait ces objets à leur histoire. Le comptoir lui avait pris trois jours de travail pour reprendre son aspect d'origine. Quelques amis l'avaient aidé dans cette folle entreprise, mais elle s'était surtout découvert un talent pour le bricolage. Entourée des souvenirs qui hantaient l'ai autour d'elle, Laura travaillait jour et nuit. Lucy, elle, n'était venue qu'une fois. Au tout début, lorsque le bar ne ressemblai qu'à un champs de bataille entre humidité et poussière. Elle avait décider de ne revenir qu'après la fin des travaux. Décision que Laura ne pouvait que respecter.

À vingt et une heure dix, avec dix minutes de retard voulues par son caractère de célébrité, le vieux musicien s'installait. Sur la scène, il ne plaçait qu'une chaise, un micro qui ne fonctionnait pas, et sa guitare. Il se présentait chaque soir, bien que chaque membre de son maigre public le connaissait déjà. Il omettait volontairement ce détail. Alors il commençait à jouer, seul sur sa chaise, avec une fine lumière braquée sur lui. Des ombres dansaient sur son visage, en cachant l'entièreté à la salle. Il répétait souvent les mêmes morceaux, mais nul ne lui faisait remarquer. Malgré son public, il était seul. Perdu dans sa musique, absorbé par ses souvenirs. Et ses regrets. À une époque, sur cette scène-là, il se produisait avec tout son groupe. Des producteurs ainsi que le haute bourgeoisie New Yorkaise venaient l'acclamer. Il était payé des fortunes pour jouer quelques chansons. La foule lui jetait des fleurs. Les femmes le dévoraient des yeux. Il n'était jamais seul. Le jazz rythmait sa vie.

Un ouvrier peu téméraire avait atterri aux urgences en se prenant les pieds dans le bois pourri de la scène. Laura l'avait remplacé en aidant les autres à débiter ce qu'il restait de l'estrade. Dans un coin de la salle, des nouvelles planches attendaient d'être installées.

Joshua jouait toujours. Les notes quittaient la scène pour planer dans la fumée qui envoutait le bar. Bien qu'il n'y ait que quatre fumeurs dans la pièce, la salle entière avait adopté cette odeur pesante portée par un nuage lourd au-dessus de leur têtes. Charles connaissait par cœur la marque de cigarettes que chacun fumait, mais surtout la quantité et la fréquence. La femme à la robe rouge fumait continuellement, mais avec une superbe lenteur. Elle arborait fièrement son porte-cigarettes et n'utilisait que les cendriers blancs. Mrs Barxton, la vieille dame dans le coin, n'en fumait qu'une seule, une fois que le silence s'installait dans la salle et que Joshua quittait la pièce.
On aurait pu croire que chacun dans cette salle connaissait en profondeur ceux qui l'entouraient. En réalité, il ne s'adressait jamais la parole. Pas par haine, ni par mépris ou dégoût. C'était comme ça, que silencieusement, ils avaient établi les choses. C'est ce que venaient chercher ces visiteurs nocturnes dans ce bar. Une porte de secours pour échapper, le temps d'un instant, à leurs vies. Aux fantômes qui les hantaient. Une pause dans le temps, une faille dans l'inlassable routine de leur quotidien.
Tandis que Joshua jouait, le silence était complet dans la pièce. Tous l'observaient sans vraiment le voir, mais sans jamais le quitter des yeux. Á l'exception de Charles, qui, au contraire, s'appuyait sur le grand bar de bois pour scruter minutieusement le silence de ces clients. Maintes fois il avait imaginé pouvoir lire dans leurs pensées, à force de les observer. Il s'était amusé un temps à leur inventer une vie, un travail, une famille. Finalement il se contentait de regarder, laissant libre cours à ses pensées. Regrets. Nostalgie. Peur. Tristesse. L'ambiance était pesante.

Le bar était prêt. Pourtant il semblait toujours aussi mort. Laura compara la pièce à un pantin inanimé, sans âme. Froid. Elle se tenait debout, seule au milieu de cette salle, et elle sentait un immense vide l'envahir. Devait-elle regretter d'avoir balayé les cadavres de l'endroit? Avait-elle chassé avec eux les murmures qui emplissaient auparavant le silence?

La soirée était bien avancée. Le beau jeune homme ténébreux dans son coin d'ombre allait bientôt partir, juste avant que Joshua ne termine ses derniers accords. Mr Corrs se leva, légèrement en avance sur son heur habituelle. Il ramena son verre vide au bar, salua d'un signe de tête qu'il n'adressait à personne puis passa la porte. La nuit l'engloutit.
Joshua cessa de jouer. Le silence se fit tandis qu'il quittait la scène. Mrs Barxton alluma sa dernière cigarette. Le jeune homme avait disparu, se faufilant en toute discrétion pour quitter la salle sans déranger personne. Bien qu'il n'y eut personne à gêner. La femme en rouge prit une dernière lampée dans son verre, mais ne bougea pas. Elle partait toujours la dernière. La vieille dame fini calmement sa cigarette dans un nuage de fumée opaque qui se confondait avec ses cheveux gris. Lorsqu'elle déposa les vestiges de sa cigarette au fond du cendrier, Charles lui apporta son manteau et l'accompagna jusqu'à la sortie. Il savait que Joshua serait déjà parti par la porte arrière destinée au personnel. La femme en rouge allait donc bientôt se lever.

Laura continuai de chercher un moyen de ranimer l'ancien bar. Alors qu'elle faisait les cents pas, quelqu'un passa dans la ruelle, et elle l'aperçut à travers les grandes fenêtres. Le jeune inconnu écoutait de la musique. Laura comprit subitement sa plus grande erreur. Avec tout les travaux, elle en avait oublié le rythme qui faisait battre le cœur de l'endroit. La musique. Le jazz.

Charles fit semblant d'essuyer des verres afin de dissimuler sa surprise. La femme en rouge, toujours perchée sur son tabouret, le fixait avec des yeux aussi poignants que des lames. Le barman se demanda si, elle, avait la capacité de lire les esprits. Cela ne le gênait pas réellement d'être cobaye d'une telle expérience.
Durant de longues minutes, Charles fit preuve d'imagination pour faire mine de s'affairer derrière son bar. Il aurait attendu des heures, patiemment, que la femme en rouge agisse.
«  Pourriez-vous remplir mon verre? »
Surpris, Charles acquiesça et s'exécuta immédiatement. Sauf qu'à la place de servir un verre, il en prépara deux. Pour lui. Pour eux.
La femme en rouge changea de regard.

La jeune femme avait passé plus d'une heure à rechercher le musicien qu'il lui fallait sur internet. Elle ne connaissait que son prénom et cela ne suffisait pas. Elle fini par tomber sur un vieil article, dans les archives en ligne d'un journal. Sans prendre la peine d'éteindre son ordinateur, elle attrapa son sac et parti pour la bibliothèque.

Le cœur de Charles battait si fort qu'il était convaincu que la femme devait l'entendre de l'autre côté du bar. En un regard, elle avait tout fait basculer. Le quotidien. Le lourd poids de l'air autour d'eux. Aussi surpris qu'il fut, Charles se ressaisi. Ils trinquèrent et burent en s'observant du coin de l'œil. La femme reposa son verre et se leva en prenant garde à sa robe. Le barman, déçu, la fixa d'un regard réprobateur. Tout en revêtant son manteau, elle tourna son délicat visage vers lui. Et juste avant de disparaître dans la nuit de New York, elle annonça: « Mrs Barxton a un petit-fils qu'elle ne voit jamais car sa fille ne la supporte pas. Elle regrette beaucoup d'un jour mourir sans l'avoir connu. Heureusement, sa fille va changer d'avis. Pour quelques temps. ». Elle sortit.

L'article donnait la biographie d'une étoile montante. Un jeune homme qui conquérait un à un les plus grands producteurs. Idole de nombreuses demoiselles, il était une promesse du jazz. Maintenant qu'elle connaissait son nom, elle allait pouvoir le retrouver, lui et sa musique. Vingt ans après.

Elle avait dit cela dans un murmure, un souffle, avec une voix différente, douce mais ferme. Charles l'avait entendue sans l'écouter, et se remettait de son étonnement en tentant de se souvenir de ses paroles mot pour mot. Pourquoi? Comment savait-elle cela? Charles resta interdit. Une minute. Une heure. Une vie. Il ferma le bar et partit en marchant. Lentement. Sans s'en rendre compte. Il vivait ces instants dans un autre monde, perdu dans ses pensées. La femme en rouge ne les quittait pas.


Laura rentra chez elle en faisant de longs détours, profitant de la tiédeur de cette nuit d'été. Les gens autour d'elles se pressaient, se bousculaient. Elle empruntait les ruelles désertes et marchait en compagnie de leur calme. Loin des sons bruyants de la ville. Les plus belles musiques sont celles qui égalent le silence.

Le lendemain soir, la vieille dame aux boucles grises vint accompagnée. D'un jeune garçon. Un petit homme aux mêmes cheveux bouclés, mais d'un blond doré. Il semblait intimidé par l'endroit, bien qu'il ne le fût surement pas autant que les habitués du bar ce soir-là. Leurs huis clos s'était craquelé. Le garçon, comme une menace extérieure, venait perturber la continuelle routine de ces nuits.
Tous l'avaient remarqué. Mais personne ne réagit. Le petit-fils et sa grand-mère s'installèrent à sa place habituelle. Charles ne pouvait détourner son regard du garçon. La femme en rouge ne s'était donc pas trompée. Elle entra au moment où il apportai son verre à Mrs Barxton. Sans même un coup d'œil vers eux, elle se hissa sur son tabouret.
Charles retourna derrière le bar et dévisagea la jeune femme. Elle l'ignora complètement, et porta son attention sur le vieil homme qui montait sur scène. Le silence se fit. Avant de laisser place aux notes et au jazz.

De retour chez elle, Laura écouta les vieux CD que lui avait prêté Lucy. Elle s'enfonça confortablement dans sa canapé et se perdit dans la musique. Dans ses rêves, elle s'imaginait la fumée. Les verres de whisky avec le tintement des glaçons. Les personnages énigmatiques cachés dans l'ombre.

Le garçon ne prononça que quelques mots, chuchotés discrètement à sa grand-mère. Elle acquiésa alors légèrement de la tête, puis se tournait machinalement vers Joshua.
Lorsqu'il quitta la scène, le jeune homme discret de la table du fond avait déjà disparu. La femme en rouge se transforma en statue. Elle fixait toujours la scène, comme pour devenir invisible. Le vieil homme se leva avec une apparente difficulté. À la grande surprise du barman, il s'approcha du garçon. D'une voix fatiguée, il lui demanda s'il avait aimé la musique.
« Je sais pas. C'est un truc de vieux. Moi j'aime pas. Maman a dit que ça ferait plaisir à la dame »
L'homme soupira. Il alla récupérer son manteau, essuya discrètement une larme au coin de son oeil ridé et ouvrit la porte. Il mit quelques minutes à en franchir le seuil. Charles l'entendis murmurer, comme pour lui-même « Les temps ont bien changé ». Il disparu. Tapis derrière son comptoir, le serveur, ressenti un léger pincement, et son esprit s'emplit de tristesse. De lassitude. Les émotions du vieil homme se confondaient avec les siennes. Lorsqu'il quitta enfin la porte des yeux, il remarqua que ceux de la femme en rouge, eux, la fixait toujours. La statue avait bougé en une seconde, pour reprendre son immobilité infinie.
En soupirant, le barman apporta son manteau à la vieille dame. Elle semblait transportée dans un autre monde, son regard se perdait dans le vide. Devenue une inconnue pour cet enfant. Une inconnue à elle-même. Une femme sans beauté, accrochée à des regrets trop vieux pour encore exister. Écrasée sous le poids de ses erreurs et de leurs conséquence irréversibles qui construisaient sa vie. Celle-là même qu'elle n'avait eu qu'une fois à vivre. Et qu'elle aurait retraversée des centaines de fois. Ou au moins une. Pour dire pardon. Pour dire je t'aime. Pour dire j'ai choisi.
Elle prit la main du garçon, et, toujours perdue dans son néant, quitta la salle.

Laura se réveilla en sursautant. La musique s'était éteinte. La pièce était sombre. Elle se leva, alluma la lumière et prit son ordinateur. Les messages s'y accumulaient mais elle n'avait aucune envie d'y répondre. Un sentiment de solitude l'emmitouflait. Malgré toutes ce images dans sa tête. Elle se rendormit pelotonnée dans le canapé.

Charles s'affala sur une chaise. La statue rouge et sans vie se tourna lentement vers lui. Il fixait la scène vide, laissant le silence l'entourer. Ces deux personnes. Qui auraient pu être heureuses jusqu'au bout. Et qui ne voulait pas quitter leur passé. Pour qui la vie ne suffisait pas, et pour qui le bonheur était hors de portée. Deux vieillards, enveloppés dans leurs manteaux de tristesse au lieu d'accepter de s'en débarrasser. Il ne comprenait pas la torture qu'ils s'infligeaient.
Le temps passa. La nuit emplit la pièce tandis que la vie la quittait.
Puis un souffle d'air froid brisa l'instant. La porte s'était rouverte. Le jeune homme de l'ombre entra. La statue rouge suivit son entrée des yeux sans bouger quoique ce soit d'autre de son corps. Il referma la porte puis fit quelques pas en avant. Sans adresser la parole à Charles, qui regardai la scène ébahi, il s'enfonça dans la salle, poussa la porte réservée au personnel. Les bribes d'une conversation parvinrent aux oreilles du barman, mais il n'essaya pas de les saisir. Puis Joshua et le jeune homme revinrent, poursuivant un manège incompréhensible pour Charles. La statue et lui les fixaient tandis qu'ils installaient la chaise sur l'estrade. Pendant que Joshua céda sa place à l'inconnu. Qu'il lui abandonna sa guitare. Ses partitions. Et qu'il quitta la salle.

Laura ne pouvait s'empêcher de se retourner toutes les secondes. La nuit ne passait pas. Elle se sentait abandonnée. Spectatrice d'elle-même. Et d'une scène qu'elle aurait aimé voir. Pour mieux les comprendre. Et recréer l'irréel de Lucy pour l'ancrer dans une subjective réalité.

Les sons s'élevèrent doucement de l'instrument. Tout d'abord tremblants et frêles, puis de plus en plus assurés. Les sons devinrent des notes, puis leur harmonie une musique. Musique qui assombrit le silence. Ils restèrent tout trois dans la salle. Sans vie. Sans partage. Juste trois statues isolées. Séparés par le silence de leurs murmures désespérés. Sans attentes.

Laura se leva enfin. Le jour s'était levé. Le grand jour. Elle s'habilla, prit toutes ses affaires et se mis en route pour le bar. Tout le monde était déjà sur place quand elle arriva. Même Lucy dans sa robe rouge, prête à réciter son propre rôle.

Jusqu'au petit matin ils ne bougèrent pas. Le jeune homme jouait toujours, inlassablement. Doucement, il posa la guitare. Il traversa la salle sans se presser et sortit. Puis la femme en rouge quitta son tabouret. Même en marchant, semblant d'action, elle restait sans vie. Juste avant d'affronter la lumière d'un jour nouveau, elle regarda Charles. Dans ses yeux se reflétaient les vies de regrets qu'elle venait de détruire. Ces passés qui disparaîtrait avec elle.

La jeune réalisatrice appela toute l'équipe. Lucy se rapprocha d'elle, apparemment aussi à l'aise dans sa robe rouge que vingt ans auparavant. Prête à refaire passer son message. À graver ces passés dans les esprits, à leur donner un écho infini, à offrir à tous les silences qu'elle avait un jour volés. Laura leur donna quelques dernières consignes et leur rappela à quel point le projet lui tenais à cœur. Puis elle ouvrit le scénario à la dernière scène. Sur la confrontation entre Lucy et Charles. Entre rêve et réalité.
Tous se mirent en place. Le silence se fit. Le cameraman vérifia ses plans et l'ingénieur testa la lumière. Laura se redressa dans sa chaise. Elle lança un clin d'œil à Lucy.
« Action! »

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