samedi 8 mai 2010

Face à face

Les seules lumières étaient celles du tableau de bord de la voiture. Le orange fluorescent du compteur clignotait légèrement, rendant compte de l'état du véhicule. Il se redressa et tout son dos se détendit en craquant. Il était bientôt deux heures du matin, et il n'avait toujours pas bougé. Encore quelques heure et son service serait fini. Il s'imaginait déjà son lit, la couette et l'oreiller qui l'attendaient, mais surtout elle. Elle qui fixait l'obscurité de la chambre, surveillant nerveusement son portable. Dans l'angoisse des ombres. Dans l'attente désespérée du grincement de la porte.
Le temps s'écoule si lentement lorsqu'on le passe en silence. Sans aucun bruit pour distraire un homme hormis celui de ses encombrantes pensées. Leurs vagues qui rebondissaient contre ses tempes dans un chaos effroyable. Et aucune pour rester en place. Il avait envie de leur dire, à ses pensées indomptables, qu'il avait besoin de calme et de concentration. Dans sa tête comme à l'extérieur de la voiture, la tempête faisait rage.

Il mis en route les essuie-glaces pour frayer un champs de vision correct à ses yeux. La maison était à quelques mètres de lui seulement, et pourtant il n'en décelait pas les contours. Les gouttes martelaient le pare-brise comme une armée en marche. L'eau s'attaquait au capot et au coffre tandis que le vent froid s'infiltrait par l'aération. Envahit par les éléments et trahit par ses propres pensées, il pensa un instant quitter la voiture. Idée qu'il tenta vainement de chasser et qui parti s'allier aux fracas de son esprit.

Le silence autour d'elle devenait aussi bruyant que n'importe quel son. Il se glissait tout autour du lit, envoûtant la pièce d'un halo muet, étouffant les bruits de la nuit. Les ombres arrêtèrent leur danse pour entamer un mouvement mystérieux. Perdue dans l'agressivité de la pénombre, elle ferma les yeux.

La portière résista à sa pression comme pour lui montrer son désaccord. Bien que le véhicule soit sa protection la plus sûre, il senti le besoin de sortir, comme pour s'enfuir in extremis d'un traquenard où il serait piégé. La portière fini par plier à son ordre et s'ouvrit. Une bourrasque de vent et de pluie l'accueilli en territoire hostile. Il commettait une erreur et il le savait pertinemment.

Elle se recroquevilla sur elle-même, fermant et ouvrant les yeux pour ne pas arrêter de scruter le silence. Mille et un sons s'y opposaient, dans une musique discordantes qui pénétrait en elle. Des cris, des pleurs, des hurlements, des appels, l'écho infinis des voix perdues. Une ligue de mots abandonnés. Un silence atroce.

Il fila sous l'abribus de l'autre côté de la route. Légèrement protégé de la tempête, il alluma une cigarette. La braise à son extrémité devint son unique repère dans l'enfer froid dans lequel il se trouvait. Il ne quittait pas la maison des yeux, bien que la pluie brouille sa vue. Ses pensées s'accélérèrent dans sa tête, cognant à la porte de sa conscience. Il résista à l'assaut.

Les combats commencèrent entre ombres et sons. Les formes indéfinies luttèrent avec force contre l'invasion des cris, qui se heurtèrent à la froideur d'un silence implacable. Elle fixait cette guerre en se demandant qui en sortirait vainqueur. Et si elle survivrait à cette nuit. Où était-il?

Le vent parvint à faire pénétrer la pluie sous l'abribus, et il se retrouva trempé en quelques secondes. Il regarda sa montre, le temps ne se décidait pas à passer. Un soupir le surpris, et il se ressaisi. Devant la maison, rien ne bougeai. Les épaisses gouttes d'eau continuaient de former un rideau opaque devant ses yeux. Il regagna la voiture en quelques pas. De nouveau coincé dans sa cachette précaire, il tenta de se concentrer. Une ombre avait bougé, là quelque part sous les feuilles. Ou était-ce le vent? Les vagues dans sa tête se calmèrent l'instant d'une seconde. Son souffle se coupa. Il n'entendait plus rien que le bruissement des feuilles. Aucune sensation ne l'envahissait. A part le froid du métal dans sa main.

Elle alluma la lumière dans une ultime tentative pour retrouver le calme. Sa respiration s'emballait, et tous ses membres tremblaient. La pièce inondée de lumière semblait tout autre. Mais toujours pas rassurante. Les ombres étaient tapies sous les meubles et aux pieds des fenêtres en attendant leur tour. Le silence avait battu en retraite, chassé par la quiétude de la lumière. Elle regarda l'heure, qui tournait sans passer, qui avançait en reculant, qui ne voulait pas lui rendre son homme.

Sans quitter l'ombre humaine des yeux, il sortit de la voiture. Cette fois, la portière s'entrouvrit doucement, sans résistance. Il posa un pied dehors, puis deux. Son arme pointée vers la silhouette. Il fit quelques pas, sans bruit. Les éléments se déchainaient. Pourtant il était seul. Tout en lui était porté dans cette arme. La nature se soumettait.

Elle éteignit de nouveau la lampe. Le froid se faufila de nouveau sous la couette, atteignant son corps sans protection. Puis elle le chassa. De toutes ses forces, elle le repoussa, hors du lit, hors de la pièce. Puis elle fixa le silence.

Il avançait toujours. Dans la nuit noire qui l'entourait, chaque murmure observait la scène. Il s'arrêta à quelques pas de sa cible, dans son dos. Il ne chercha pas même à respirer. D'un geste brusque mais contrôlé, il renversa la silhouette et braqua son arme.

Face à face.
Elle et le silence. Lui et la peur.
Eux.

La porte grinça. Les yeux embués de larmes, elle tourna la tête. Il était là. La nuit devenait pénombre. Le silence devint murmure. Le chaos devint l'infini.

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