–
Tu vas tomber! C'est vraiment pas malin...
–
Mais arrête un peu.
La
nuit avait noyé les escaliers, et je ne voyais pas plus que si j'avais gardé
les yeux fermés. Mon pied cherchait désespérément la marche suivante, mes
jambes l'aidaient en battant l'espace en de grands moulinets. Quand enfin je
pris appui sur la marche, se fut pour rencontrer une surface mouvante et molle.
La surprise m'extorqua un petit cri, étouffé par la main de Pauline.
–
Ça, c'était mon pied! Murmura t-elle,
agacée.
–
Désolée...
–
Bouge plus, j'ouvre la porte.
–
Quoi parce qu'en plus t'as pas la clé?
Le silence de mon amie fut sa
réponse. Je m'en contentai. Ennuyée, j'observai le vide absolu qui nous
entourait. Le noir total. Un frisson courut le long de mon échine. Juste au
moment où j'allais me décider à redescendre les escaliers, même toute seule, et
de retourner dans mon lit, le grincement de la porte se fit entendre.
Dehors,
la nuit était moins sombre. Le toit plat formait comme une sorte de terrasse,
bordée par un petit muret. Quelques flaques d'eau parsemaient le sol, vestiges
de l'orage. Le temps était lourd, chaud et humide à la fois, mais l'air
semblait néanmoins plus frais que dans les couloirs de l'immeuble insalubre.
Pauline tourbillonnait, virevoltait comme une danseuse sur scène, apparemment
fière de son idée. Je fis quelques pas sur la petite plateforme encadrée par
deux autres immeubles sur laquelle nous nous trouvions.
Le
ciel était dégagé, et la vue imprenable. Londres se dessinait sous mon
regard, champ tacheté de lumières étendu
à perte de vue. Les clameurs des rues ne
parvenaient qu'en murmures à mes oreilles.
–
Alors comment tu trouves l'endroit? S'écria
Pauline dans mon dos
–
Magnifique... susurrais-je.
–
Viens, dit-elle avec ce petit ton
mystérieux dans sa voix.
Pauline fit le tour du toit jusqu'à
un des coins qui se collait à un bâtiment plus grand, puis grimpa sur le muret.
Elle s'y installa à cheval, le dos appuyé contre le mur voisin.
–
Tu vas tomber! C'est vraiment pas malin...
–
Mais arrête un peu.
Hésitante, je vins m'asseoir près
d'elle, mes deux jambes par-dessus bord, les mains agrippées au muret. Pauline
m'adressa un petit sourire d'entendement. Le décor de ce côté était encore plus
beau. Sous nos pieds les rails du train se frayait un chemin parmi les courbes sinueuses
de la ville. Un peu plus loin, la grande gare fraîchement construite en verre
reflétait les rayons blancs de la Lune. Aussi loin que mes yeux regardaient, je
ne pus apercevoir une présence humaine, et j'eus quelques secondes la
délicieuse impression que nous étions seules, perdues dans l'océan urbain.
Soudainement,
à notre gauche, une fenêtre toute proche s'illumina. Aucun volet ne découpa
l'image du corps nu qui plongea dans une baignoire moussante. Le corps d'une
jeune femme blonde, très jolie, qui semblait perdue dans ses pensées, disparu
sous l'eau. Nous l'observions fixement toutes les deux, nous qu'elle ne pouvait
pas voir, tapies dans l'ombre.
Je
ne sais combien de temps s'écoula, en tout cas ce fut bref, avant que la
fenêtre voisine ne brille à son tour, et que nos yeux éberlués découvrent un
homme également plongé dans son bain. La coïncidence était des plus belles, et
je me mis à rire, rire, comme une folle, perchée sur mon toit, notre toit, et
Pauline m'imita, et je failli basculer, et la ville était à nos pieds. Et mon
rire la berçait.
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